Chapitre VI – XIXe Siècle : airs trouvés dans des méthodes instrumentales

CHAPITRE VI / XIXe SIÉCLE : AIRS TROUVÉS DANS DES MÉTHODES INSTRUMENTALES

Couverture de la méthode de hautbois Miller (1843)
Couverture de la méthode de hautbois Miller (1843)

La fin du XVIIIème siècle, et surtout le XIXe siècle, connaissent une floraison de méthodes instrumentales de toutes sortes : dans d’imposants ouvrages, des virtuoses ou professeurs réputés proposent le décorticage complet d’une technique élaborée, au moyen de séries d’exercices gradués ; à l’autre extrême, des éditeurs font miroiter à l’amateur la possibilité d’« apprendre sans maître » toutes sortes d’instruments, dans de petites brochures qui se résument souvent à quelques pages d’éléments basiques de solfège et quelques gammes, accompagnées d’un petit répertoire de mélodies connues, parfois repris à l’identique pour des instruments différents.

Les luthiers et inventeurs ne cessent de faire évoluer l’instrumentarium, en particulier dans le domaine des instruments à vent : on complexifie les systèmes de clétage des instruments existants, et on invente une multitude d’instruments nouveaux (qui ne passeront pas tous l’épreuve du temps) : instruments à anche libre (accordéons, harmoniums etc), instruments à embouchure (cornets, tubas, ophicléide, etc), saxophones etc. Ce développement s’accompagne donc de la publication de nombreuses méthodes.

Les répertoires, figurant souvent en dernière partie de ces ouvrages, sont intéressants car ils témoignent de l’évolution (et aussi des permanences) d’un fonds de mélodies de référence, plus ou moins simples suivant le public visé par l’éditeur : timbres et chansonnettes connues de tous, hymnes nationaux et autres airs de différents pays, airs de danse en vogue, marches et autres pas redoublés, airs de romances ou d’opéras-comiques, airs de grands compositeurs classiques et romantiques, mélodies didactiques et compositions personnelles de l’auteur de la méthode.

Un certain nombre d’instruments proposés échappent au monde de la musique la plus savante : d’un côté, beaucoup d’instruments à vent sont pratiqués dans le cadre de la musique militaire ou d’inspiration militaire : fanfares, cliques, harmonies, etc. Leurs répertoires, bien que visant au sérieux de la « grande musique », sont marqués par les musiques de défilé. D’autres instruments sont au cours de ce siècle peu à peu rejetés de la pratique savante (et du modèle de l’orchestre symphonique), et réservés à des formes de « musique légère », voire de musique populaire. Leurs répertoires vont être de plus en plus marqués par des références et des connotations obligatoires, populaires ou exotiques : ainsi, la mandoline, la guitare, les différents accordéons, les fifres et flûtes autres que la traversière classique, etc. Le hautbois classique, pour sa part, continue à être associé à des ambiances « champêtres », « pastorales » ou « montagnardes », et il en va de même pour sa version plus archaïque qui continue d’être partiquée sous le nom de « musette ».

C’est ainsi que ces méthodes nous livrent un certain nombre d’airs, soit directement associés à l’Auvergne ou à la bourrée, soit plus largement à des références « montagnardes » souvent imprécises. Certains de ces airs semblent être des créations des auteurs de ces méthodes, sur des schémas rythmiques et mélodiques conventionnels. J’ai englobé dans ma sélection les airs appelés « savoyarde », dont l’archétype est la bourrée bien connue « Diga Janeta ». Je donne ici tous ces airs en pensant qu’ils peuvent trouver leur place dans le répertoire à danser aujourd’hui, quelle que soit leur origine, même parfois un peu périphérique par rapport à notre sujet .


1) LES MÉTHODES DE « MUSETTE » : ARNOLD (1891), BAILAT (fin XIXe?), CHÂTEAULUN (1841)

J’ai donc trouvé des airs de bourrées et montagnardes dans plusieurs méthodes de « musette » du XIXème siècle : il ne s’agit pas ici d’une cornemuse, mais d’un hautbois, qui est un peu au hautbois classique ce que le fifre est à la flûte traversière. Aussi dénommé « hautbois pastoral », c’est un hautbois aigu et puissant, apparenté à la bombarde bretonne, dont l’usage et la fabrication se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui. A côté de la forme ancienne et populaire sans clefs, les facteurs d’instruments ont proposé des modèles à une puis plusieurs clefs, tendant à réintégrer peu à peu cet instrument dans la famille des hautbois classiques, même s’il reste relativement rare. Pour plus de renseignements, voyez ces articles :

Hautbois musette, méthode Bailat
Hautbois musette, méthode Bailat

Le hautbois musette étant associé à un imaginaire rustique et pastoral, ses méthodes font appel à nombre d’« airs montagnards » et autres tyroliennes, bretons, provençaux etc. Trois de ces méthodes, celles d’Arnold, de Châteaulun et surtout celle de Bailat, nous livrent ainsi une série d’airs auvergnats, bourrées, montagnardes et bourbonnaises. Si le répertoire donné par Bailat recoupe celui des recueils pour piano déjà vus ici (c’est pourquoi je ne les réenregistre pas), en revanche les airs d’Arnold me sont inconnus par ailleurs, sauf sa « Bourrée savoyarde », qui est une version en mineur de « Diga Janeta ».

Châteaulun, « Chef d’Orchestre des Bals Champêtres » est l’auteur de la « Méthode de musette de bignou dite vèze de Bretagne », dont le titre révèle une certaine confusion organologique. Il me semble que la même confusion se retrouve dans le répertoire, avec des attributions un peu incertaines pour qualifier les airs de « bourée d’Auvergne » ou « valse montagnardes », parmi des « allegro » et autres « moderato ». Pour moi, ces airs sont vraisemblablement des créations de monsieur Châteaulun. On peut remarquer que pour deux airs de types bourrée à deux temps, il donne une variation dans le style des « doubles » de la musique baroque (c’est-à-dire avec un monnayage rythmique systématique, les lignes mélodiques étant emplies par des suites systématiques de notes en valeurs brèves).

Avertissement au sujet des enregistrements : pour des raisons de temps de préparation, je ne me suis pas conformé à l’ornementation parfois importante donnée notamment dans les recueils Arnold et Bailat.

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2) LES MÉTHODES DE HAUTBOIS : VANDERHAGEN (vers 1792), MILLER (1843), GIRARD (1866), BRETONNIÈRE (1867)

Couverture méthode de hautbois Bretonnière
Couverture méthode de hautbois Bretonnière

Des airs de bourrées apparaissent aussi, mais de façon plus sporadique, dans des méthodes de hautbois classique. Selon Victor Bretonnière, cet instrument au cours de son histoire, « servait à exprimer les différentes nuances de musiques pastorales et champêtres » : même sous sa forme plus perfectionnée, le hautbois était ainsi toujours évocateur de ces univers pour les musiciens.

Illustration : Avis de l'auteur (méthode de hautbois de Victor Bretonnière)
Illustration : Avis de l’auteur (méthode de hautbois de Victor Bretonnière)

Du recueil d’Amand Vanderhagen (vers 1792), j’ai extrait la mélodie « Escouta d’jeanetta », bien connue à l’époque. Cette « chanson savoyarde » fait partie de « Les Deux Petits Savoyards », opéra-comique de Nicolas Dalayrac créé en 1789. On ne sait pas s’il s’agit d’un pastiche ou d’une véritable chanson populaire arrangée. En tout cas il prend place dans une famille de mélodies associées aux personnages de petits montagnards mendiants ou ramoneurs, qu’ils viennent de Savoie ou bien d’Auvergne (Voir « Petit Jacques et Georgette ou les Petits montagnards auvergnats , qui date de la même époque, au chapitre 1). La chanson bien connue « Diga Janeta » est citée dans les dialogues de l’opéra précédant immédiatement « Escouta d’janetta » :

« (Joset) – J’nons pas d’rancune ; mais c’est qu’si ce Monsieur que v’là nous avoit chassés tout à l’heure, comme il en avoit la bonne intention, je n’pourrions pas à présent avoir l’honneur d’vous chanter (Dicat Jeannette), ou un’aut’ pus nouvelle ; car j’en savons plusieurs ».

Peut-être faut-il donc comprendre que cet air est « une autre plus nouvelle », créée par Dalayrac mais avec l’appui de la référence traditionnelle.

La méthode de Miller nous donne une version de la fameuse romance de Chäteaubriand « Le Montagnard émigré » (voir chapitre 2) ainsi qu’un « Air montagnard » qui est une montagnarde bien connue, donnée également dans la méthode Girard.

« Air montagnard » (Méthode de hautbois de Miller 1843)
« Air montagnard » (Méthode de hautbois de Miller 1843)

La méthode de Victor Bretonnière nous donne trois airs aux titres évocateurs : « Echo d’Auvergne », « Souvenir de la montagne » et « La musette d’Aunay ». Les deux premiers sont de la composition de l’auteur, le dernier étant attribué à Frédéric Triebert, fameux hautboïste et artisan majeur de la forme moderne de l’instrument. Bien que les indications d’interprétation prescivent de les jouer lentement, ces trois mélodies sont tout à fait construites comme des bourrées à deux temps, et c’est donc ainsi que je les donne dans mes enregistrements.

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3) « DIGA JANETA » ET AUTRES « DANSES SAVOYARDES »

 


J’ai déjà évoqué plus haut cette famille de mélodies, se rattachant musicalement au type « bourrée à deux temps ». L’archétype de ces airs semble être « 
Diga Janeta », chanson bien connue déjà au XVIIIe siècle, et conservée jusqu’au XXe siècle par les traditions orales de nombreuses régions occitanophones. (dont l’Auvergne et le limousin), ainsi que dans la tradition enfantine francophone (« Bonjour Guillaume, as-tu bien déjeuné … »). Les versions connues au XXe siècle sont plutôt en mode majeur, tandis que les versions du XVIIIe (« Digue Jeannette », « Catalinette » ou la « Danse de la marmotte ») sont en mode mineur. D’autres mélodies seront créées, dans la même inspiration, dans le cadre de spectacles théâtraux, ballets etc, évoquant le thème des Savoyards.

La vielleuse et chercheuse Françoise Bois-Poteur, particulièrement intéressée par les relations entre musique savante et populaire aux XVIIe et XVIIIe siècle, développe ses recherches sur le sujet des Savoyards dans la musique, dans plusieurs articles :

« Savoyard Air » (Raphael Dressler, "New and Complete Instructions for the Flute")
« Savoyard Air » (Raphael Dressler, « New and Complete Instructions for the Flute »)

Ces airs se retrouvent dans les méthodes instrumentales tout au long du XIXe siècle. J’ai ainsi pu relever à ce jour « Escouto Jannette » dans la méthode de harpe de Xavier Desargus (1809) (qui commence par une citation de « Diga Janeta » suivie de l’air de Dalayrac), « Savoyard Air » dans la méthode anglaise de flûte traversière de Raphael Dressler (vers 1825), la « Savoyarde » dans la méthode de violon d’A. Klein (vers 1835), une « Danse savoyarde » (version non standard de « Diga Janeta ») dans la méthode de clarinette de Lodoïs Ferranti (1893), et enfin un « Air rustique », dans la méthode de violon alto de Carl Weber (1897), qui me paraît relever de la même inspiration, même si son titre est plus vague.

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4) DIVERS AUTRES

Illustration : couverture de la méthode de flageolet d'Eugène Roy (vers 1826)
Illustration : couverture de la méthode de flageolet d’Eugène Roy (vers 1826)

Je rassemble dans ce dernier paragraphe quelques autres airs, au hasard des trouvailles. Une petite méthode de flageolet (type particulier de flûte à conduit) publiée vers 1826 par Eugène Roy, me donne l’occasion d’évoquer un air bien connu à l’époque sous les titres « Triste raison, j’abjure ton empire » (ou parfois « Le connois-tu, chère Eléonore »). En le déchiffrant, j’avais relevé sa forte ressemblance avec la montagnarde bien connue « Que çai veniatz cherchar, garçons de la montanha », bien qu’on ne puisse attester formellement d’une filiation entre les deux airs.

Un deuxième air est mondialement connu : l’ « Air prussien – Ô mon cher Augustin ». C’est une chanson allemande ou autrichienne, que la légende attribue à un cornemuseux viennois du XVIIe siècle, mais qui ne serait attestée qu’à partir de 1790-1800, ce qui semble beaucoup plus vraisemblable du point de vue du style mélodique (le style « oum-pa-pa »). Cet air est cité ici comme « Walze », mais par la suite on le retrouvera utilisé comme montagnarde en Auvergne vers 1900 (voir un prochain chapitre de cet article). Il a aussi été adapté en diverses langues, notamment dans les répertoires de chansons enfantines.

Enfin, on trouve un air de montagnarde d’Auvergne avec des paroles de romance, « Viendras-tu pas toi que mon cœur adore », écrites par M. de Clermont-Tonnerre (voir chapitre 2 du présent article).

Une méthode de violoncelle de Hippolyte Rabaud, en 1886, nous donne une version inhabituelle d’une autre montagnarde, « N ‘ai mas cinc sòus », sous le titre de « Récréation – Air auvergnat ». Nous trouvons une version de « Montabe la marmita » dans la « Nouvelle encyclopédie musicale » d’Alfred Josset, en 1906 (8e édition) : cette version est elle aussi originale, avec une échelle à plusieurs degrés mobiles dont les fluctuations entre modes majeur et mineur se rapprochent de celles qu’on trouve parfois dans la tradition orale, et l’ajout d’une troisième phrase. Enfin, un recueil plus récent, le « Trésor des plus belles mélodies de tous les temps et de tous les pays » par Valéry Delfolie (1947), nous livre une version non standard de « La borréia d’Auvernha ».

Illustration : extrait du "Trésor des plus belles mélodies de tous les temps et de tous les pays" par Valéry Delfolie (1947).
Illustration : extrait du « Trésor des plus belles mélodies de tous les temps et de tous les pays » par Valéry Delfolie (1947).

Nous pouvons donc enrichir nos répertoires de bourrées grâce à tous ces airs (et bien d’autres qui restent à trouver).

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