Chapitre 5 – XIXe et début XXe siècle : « Bourrées et montagnardes d’Auvergne pour le piano » et autres recueils de musique récréative (4e livraison)

Quatrième livraison : recueils « Gautrot aîné », Lafforgue-Beranek et Théron

13) « 24 BOURRÉES D’AUVERGNE arrangées pour clarinette par G. F. »

Illustration : début du recueil "Gautrot aîné"
Illustration : début du recueil « Gautrot aîné »

Il m’est impossible d’identifier l’auteur de ce recueil, connu seulement par ses initiales. L’éditeur, Pierre-Louis Gautrot, dit « l’aîné », fut un important fabricant et marchand d’instruments à vent au cours du XIXe siècle (son entreprise, domiciliée à Paris, fut à son nom de 1845 à 1882, et ensuite rachetée par Couesnon).

Le répertoire donné ici est absolument identique à celui du recueil Labadie, et présenté dans le même ordre (voir paragraphe 04 dans la 2e livraison du présent article). La seule différence est que, contrairement au recueil Labadie pour piano, il ne comporte que les lignes mélodiques, données dans d’autres tonalités. Il est évident que les deux recueils ont la même source, mais on ne peut pas établir l’antériorité de l’un sur l’autre, ce recueil ne comportant pas de date. C’est pourquoi je n’en donne ici que la transcription, et renvoie le lecteur au recueil Labadie pour les enregistrements de déchiffrage.

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14) « LA BOURRÉE PARISIENNE » par J. Lafforgue-Beranek » (1903)

Illustration : "La Bourrée parisienne – Nouvelle danse"
Illustration : « La Bourrée parisienne – Nouvelle danse »

Cette suite de mélodies pour piano a été publiée en 1903 dans la revue « Album Musica« , et

accompagne la publication de la « théorie de cette danse » dans la revue « Fémina » de février de la même année (N°49, du même éditeur). Dans le sommaire de cette dernière revue, on annonce « Danse nouvelle – la bourrée » et « La bourrée des salons par J. Molina da Silva« .

La musique en est « recueillie et arrangée » par un certain J. Lafforgue-Beranek, et la danse présentée (vraisemblablement inventée ou chorégraphiée par ses soins) par Jean Molina Da Silva, « professeur de danse et de maintien aux Ecoles militaires de Saint-Cyr et de Versailles », qui fut un proche de Guillaume Apollinaire. Si on trouve de ce fait quelques renseignements sur Molina (auteur d’un livre publié en 1901 « La Grâce et le maintien français »), en revanche le musicien Lafforgue-Beranek reste tout à fait mystérieux : s’agit-il d’un pseudonyme? Un »Aloïs Beranek », mort en 1910, a publié quelques compositions (quadrille, valse etc) pour piano autour de 1900. Il était chef d’orchestre à l’ »Hippo-Palace » de Paris (Hippodrome Théâtre), énorme salle de spectacle devenue par la suite le cinéma « Gaumont Palace ».

Le répertoire de huit mélodies qui compose cet enchaînement est intéressant : si les cinq premiers airs, à trois temps, comprennent quelques classiques (par exemple « La borréia d’Auvernha » et « Que çai veniatz cherchar« ), les versions données ne sont pas les « versions standard ». On trouve aussi une version de « Los Auvernhats an tant la barba fina« , un peu moins connue (qui a été retrouvée aussi au XXe siècle jouée par des musiciens de la Basse-Corrèze), et de « Mon père arrachait des raves », thème très connu (parfois comme mazurka ou valse), et pas seulement dans le Berry ou le Morvan.

Les trois bourrées à deux temps qui finissent la suite sont peu connues. Je ne crois pas les avoir rencontrées ailleurs, même si la première présente une ressemblance avec certaines versions de la danse de « La chêvre ».

Illustration : page de titre de l'"Album Musica" (N°5, février 1903)
Illustration : page de titre de l’ »Album Musica » (N°5, février 1903)

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15) Recueils Théron « Nouvelles bourrées et montagnardes » 1e et 2e série; « Vieux airs d’Auvergne » (vers 1914)

Illustration : couverture du recueil Théron "Nouvelles Bourrées et Montagnardes"
Illustration : couverture du recueil Théron « Nouvelles Bourrées et Montagnardes »

Je n’ai que très peu de renseignements sur J. Théron, dont je n’ai pas même retrouvé le prénom. A l’époque où il a publié ces recueils, il était chef de musique au 92ème Régiment d’Infanterie, basé à Clermont-Ferrand depuis 1881, comme le dit un article du « Moniteur d’Issoire » (du 27/08/1913) : il y est cité à ce titre comme membre du jury du Concours Musical de Sauxillanges, aux côtés de Soulacroup « chef d’orchestre compositeur à Clermont-Ferrand » (également auteur d’un recueil de bourrées, que nous avons déjà présenté). Sur le site internet de la Société Lyrique de Clermont-Ferrand, il est aussi mentionné comme ayant dirigé cette harmonie municipale (mais sans précisions de dates).

Illustration : musique du 92e RI de Clermont-Fd (Théron est vraisemblablement au centre de la seconde photo). Photo trouvée dans un article sur l’histoire du kiosque à musique de Clermont-Ferrand :   https://www.cparama.com/forum/kiosques-a-musique-t21074-260.html
Illustration : musique du 92e RI de Clermont-Fd (Théron est vraisemblablement au centre de la seconde photo). Photo trouvée dans un article sur l’histoire du kiosque à musique de Clermont-Ferrand : 
https://www.cparama.com/forum/kiosques-a-musique-t21074-260.html

Le catalogue de la Bibliothèque Nationale comporte une quinzaine d’oeuvres de Théron, souvent publiées à Clermont-Ferrand : marches et musiques de défilé, musique pour piano de divers genres, dont une « Danse auvergnate pour piano sur des airs populaires » (non encore numérisée), la « Berline d’Auvergne – Danse de caractère », ainsi que nos trois recueils.

Illustration : couverture du recueil de Théron « Vieux airs du pays d'Auvergne »
Illustration : couverture du recueil de Théron « Vieux airs du pays d’Auvergne »

Les trois recueils réalisés par Théron ont été publiés par l’éditeur clermontois Charles Pennetière, vers 1913-1914. Celui intitulé « Vieux airs d’Auvergne – Thèmes de bourrées, rondes, chants populaires – recueillis et harmonisés par J. Théron», présente des mélodies de bourrées à deux temps, toutes tirées d’un manuscrit que j’ai déjà présenté au chapitre III sous le nom de « manuscrit « Clermont 1 » du legs Adolphe Achard », maintenant conservé aux archives départementales du Puy-de-Dôme.

Théron a donc choisi et harmonisé pour le piano trente bourrées sur les quarante-huuit que comporte le manuscrit, en restant tout à fait fidèle à sa source pour la partie mélodique. Je ne redonnerai donc pas ici ces airs.

Ce recueil est intéressant par ce qu’il nous confirme sur l’origine de la plupart de ces répertoires pour piano et autres : nous avons ici la preuve qu’ils s’appuient réellement sur des cahiers de musiciens de danse, plus anciens de quelques décennies. Dans son texte d’introduction, Théron situe sa source au « commencement du XIXe siècle » : pour ma part il me semble remonter plutôt à la fin du XVIIIe, vers 1770-1780.

Illustration : avertissement au recueil "Nouvelles bourrées et montagnardes"
Illustration : avertissement au recueil « Nouvelles bourrées et montagnardes »

L’autre recueil, « Nouvelles bourrées et montagnardes », publié en deux séries, est également très intéressant. Comme pour le précédent, l’auteur évoque sa source (voir illustration au-dessus), qui serait un vieux manuscrit mis à sa disposition par Joseph Desaymard. Celui-ci (1878-1946) fut un érudit et écrivain auvergnat, grand ami de Henri Pourrat. La correspondance des deux amis, qui a été publiée, nous donne quelques informations sur ce sujet. Sollicités en 1913 par l’éditeur Pennetière pour un projet de recueil de bourrées avec leurs paroles (projet semble-t-il jamais réalisé), ils évoquent le recueil de Théron, tout juste paru à ce moment. Desaymard cite le « manuscrit d’Ambert« , en réalité trouvé par Henri Pourrat, et qui a fourni à Théron le matériau de ses « Nouvelles bourrées et montagnardes« . Je donne ici en format pdf les extraits de cette correspondance qui concernent ce sujet, et nous permettent de mieux appréhender les circonstances de publication de tous ces recueils, dans ce milieu d’érudits, d’écrivains et de musiciens clermontois et auvergnats. Peut-être retrouverons-nous encore à l’avenir quelques-uns de ces manuscrits anciens dans les archives de ces personnes.

Correspondance Desaymard-Pourrat (extraits)

Les deux livraisons de ce recueil donnent au total 40 mélodies, dont 24 montagnardes (à 3 temps) et 16 bourrées (à deux temps). Les airs n’ont ni paroles ni titre particulier, les tonalités sont variées, allant jusqu’à trois dièses ou trois bémols, mais le plus souvent en Sol, Ré ou Do. Par rapport à l’ensemble des recueils du même type, le répertoire est très original, ce qui confirme l’accès direct de l’auteur à une source ancienne.

On retrouve tout de même quelques airs déjà rencontrés ailleurs, et certaines mélodies ont des versions conservées par la tradition orale : les bourrées à deux temps 1-15, 1-18 et 2-17 se retrouvent dans les répertoires berrichons et bourbonnais (respectivement « Derrière chez nous », « On dit que la grive » et « J’ai peur du loup »).

Pour les montagnardes, à côté des très répandues « Quand passaretz petita » (2-3) et « Lo cuer de ma mia (2-10), on trouve une version de « Los Auvernhats n’an tant la barba fina » (2-6), bourrée connue en Basse-Corrèze au XXe siècle, ainsi qu’un antécédent vraisemblable d’une bourrée connue chez les violoneux de l’Artense : « La verem pus la verem pus la montanharda » (2-4) (J’ai déjà donné plusieurs versions de cet air dans mon article « Répertoire de violon – Bourrées en sol »).

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Lire le chapitre VI – XIXe Siècle : airs trouvés dans des méthodes instrumentales