Chapitre 5 – XIXe et début XXe siècle : « Bourrées et montagnardes d’Auvergne pour le piano » et autres recueils de musique récréative – 3e livraison

Troisième livraison : recueils Thomas, Kozlowska et Béraud 

10) Velay : Recueils de M. Félicie Thomas « Bourrées du Velay » et « Récréations des Familles » (entre 1891 et 1897)

Illustration : couverture d’un recueil de Félicie Thomas

Ces deux recueils ont été étudiés par le chercheur vellave Didier Perre dans son article « Les sources mélodiques de la bourrée à deux temps en Velay – 1« , publié dans la revue Pastel (N°59, 1er semestre 2007). On peut consulter et télécharger ce document (parmi tous les autres de cette revue souvent très intéressante) ici :

http://www.pastel-revue-musique.org/p/numeros-de-pastel.html

Félicie Thomas (1837-1905) fut professeur de piano au Puy-en-Velay. Elle a publié un certain nombre d’oeuvres pour cet instrument, en particulier des danses de salon. Les deux recueils cités ici nous livrent une douzaine de mélodies traditionnelles à 2 et 3 temps, la plupart d’entre elles figurant aussi dans les recueils de Basse-Auvergne (« l’Album Auvergnat » et similaires). Il s’agit de bourrées chantées en langue d’oc, données avec leurs paroles. On peut se poser la question de la structure de certains airs tels qu’ils sont donnés. Cela semble parfois un choix d’arrangement qui prend des libertés avec la mélodie brute. Par exemple dans la bourrée N°10, les première et deuxième phrases semblent avoir été entremêlées.

Contrairement à tant d’airs de bourrées purement instrumentaux que l’on trouve dans d’autres recueils, les cinq bourrées à deux temps chantées données ici ne portent pas la marque d’une parenté évidente avec les airs de rigaudons du XVIIIe ou de contredanses « allemandes ». En revanche, leur style m’évoque plutôt celui de certains branles : à côté de phrases construites sur quatre mesures, on trouve des phrases à trois mesures, ce qui peut être rapproché de la dichotomie branle double / branle simple. Le style mélodique et rythmique est plus simple, avec beaucoup de notes répétées, et un faible ambitus. On retrouve des mélodies de style similaire dans les airs chantés de l’ »Album Auvergnat« , dans le recueil d’Albert Dauzat (« Contribution à la littérature orale de la Basse-Auvergne« , voir dans un chapitre à venir), celui de Louis Lambert (« Chants et chansons populaires du Languedoc ») et aussi dans des recueil plus anciens, que j’ai présentés dans les chapitres précédents (« Petit-Jacques et Georgette« , Manuscrit « Clermont-Fd 1 » chapitre 3-1).

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11) Haute-Auvergne : Recueil de Mlle Joseph Kozlowska « Bourrées d’Auvergne montagnardes et figurées pour le piano » (Aurillac 1899)

Illustration : couverture du recueil de Mlle Kozlowska

Ce recueil semble très peu connu : je n’en avais jamais rencontré aucune mention avant de le trouver dans le catalogue de la Bibliothèque Nationale, et de demander sa numérisation. Je n’ai trouvé aucun renseignement sur l’auteur, sinon l’annonce de parution de son recueil dans « La Revue de Haute-Auvergne » en 1900, qui la cite comme « professeur de musique bien connue à Aurillac ».Le répertoire présenté ici, de Haute-Auvergne, est assez original et différent de celui des recueils (clermontois pour la plupart) que j’ai présentés jusque-là dans cet article. On y trouve vingt-quatre bourrées à trois temps (« bourrées montagnardes ») et quatre bourrées à deux temps (« bourrées figurées », ce qui reprend la même terminologie que dans le recueil Labadie).

Les douze premières mélodies sont des bourrées chantées, d’après les titres, même si les paroles n’en sont pas données ici. Une partie d’entre elles sont bien connues, et ont été publiées avec les paroles par Joseph Canteloube, dans des versions parfois un peu différentes (notamment dans les différentes éditions du « Recueil de La Bourrée – Chants et danses populaires du Massif Central » 1927 à 1935), ou par Fernand Delzangles (« Danses et chansons de danse d’Auvergne », Aurillac 1930). On notera aussi que la graphie patoise phonétique adoptée pour les titres par Mlle Kozlowska est identique à celle de ces deux auteurs. Quelques-unes des mélodies sont moins connues : on retrouve les paroles (sans musique) de la plupart d’entre elles dans le recueil Delzangles, même si leur adaptation aux mélodies de Kozlowska ne va pas toujours de soi. Une seule a un titre en français « Unissons-nous, filles d’un capitaine », qui suggère une chanson traditionnelle narrative (non retrouvée à ce jour).

Les douze autres mélodies à trois temps semblent plutôt des compositions instrumentales, peut-être dues à Mlle Kozlowska elle-même. Les titres sont volontairement évocateurs de couleur locale : noms de lieux du Cantal (Arpajon, la Jordanne, le Pas de Cère, Mandailles), figures culturelles identitaires (Le cabretaire, Air de cabrette, Le Capiscol : titre félibréen, peut-être en hommage au poète aurillacois Arsène Vermenouze), figures paysannes (Pièrre et Jiontounèl, Lo Morgoridèl, etc).

Les bourrées à deux temps sont bien moins nombreuses : les deux premières me paraissent être des compositions instrumentales, dans une couleur mélodique bien XIXe siècle. Les deux dernières sont des bourrées chantées, au caractère beaucoup plus populaire et vocal, et appartiennent à cette famille de mélodies qui pour moi évoquent les chansons de branles (voir plus haut le paragraphe sur les recueils Thomas).

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12) Bourbonnais : Recueil de Jeanne Béraud « Bourrées bourbonnaises avec paroles, recueillies et harmonisées pour piano » (1913)

Illustration : couverture du recueil de J. Béraud

Ce recueil présente six mélodies de bourrées, toutes à deux temps, recueillies en Bourbonnais et harmonisées pour le piano. L’auteur n’est identifié que par l’initiale de son prénom : d’après le site de l’association « La Jimbr’tée bourbonnaise », il s’agirait de Jeanne Béraud. Je n’ai rien pu trouver sur cette musicienne, si ce n’est peut-être la mention d’une « Mme Béraud », « maîtresse de chant à Moulins », admise en 1897 au Certificat d’aptitude à l’enseignement du chant dans les écoles normales et les écoles primaires supérieures (degré élémentaire et supérieur) (Manuel général de l’Instruction primaire, tome 33 p.360).

Après avoir décrit la danse dans le texte d’introduction, l’auteur précise en note :

« Les six bourrées que nous publions sont parmi les plus populaires de la province bourbonnaise ; nous ajouterons même que nous avons suivi l’ordre dans lequel elles étaient jouées par le vielleux aux environs de 1840 et même bien avant cette date. Il n’y a donc rien à supprimer et tout est, suivant l’expression consacrée « bien dansant ».

Le choix d’écriture rythmique (sauf pour l’air N°5) est un peu curieux, et ne correspond pas à la façon habituelle de transcrire les bourrées à deux temps : ici toutes les valeurs sont divisées par deux, et une mesure en 2-4 correspond à deux mesures normales de la mélodie. Je donne en pdf la transcription telle quelle, et ensuite la transcription « corrigée ».

Les deux premiers airs sont des variantes d’airs connus dans les recueils de Basse-Auvergne, avec une tendance à la simplification des ornements mélodiques (grupettos remplacés par des notes répétées).

Le troisième air, réduit à une phrase unique, est très connu avec ses paroles « La soupe aux choux se fait dans la marmite ». A l’origine, c’est une chanson « Le premier pas se fait sans qu’on y pense », dont l’air a été composé par le musicien Joseph Denis Doche (1766-1825) pour une pièce de théâtre en 1809 « Le petit courrier ». La mélodie est devenue populaire, je l’ai même rencontrée utilisée dans un recueil de cantiques, avec d’autres paroles bien sûr.

Illustration : « Le premier pas » dans « La Musette du Vaudeville » (recueil de J.D. Doche, 1822)

Le N°4 semble un collage de deux airs : la première phrase « Baillez-li d’au foin à qu’n’âne » est une version d’une bourrée « du Mont-Dore » de l’Album Auvergnat (« Tcha nous zon un jau »), dans laquelle les notes finales semblent avoir été artificiellement allongées, pour transformer une phrase de six mesures en huit mesures. Les deux dernières phrases sont une version de la bourrée « de Pontaumur » de l’Album Auvergnat, également connue en Berry comme « Mon ruban bleu ».

Le N°5, malheureusement réduit à une seule phrase, évoque les garçons d’Ebreuil :

« Qua d’Ebreuil dansont tant bien
Qua de Naves, qua de Naves
Qua d’Ebreuil dansont tant bien
Qua de Naves n’y fasont rien »

Je n’ai pas rencontré cet air dans d’autres sources.

Enfin la dernière mélodie « Ah! t’la verras pus t’la verras pus la Marie-Jeanne« , est bien connue en Charolais (« D’zi men’ les loups »). La première phrase rappelle certaines versions de la danse du Chibreli, et on peut aussi trouver des airs apparentés, sur un rythme de scottisch (« A ! la verem pus la verem pus la debrajada », par Eugène Chabozy, violoneux de l’Artense).

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