Première livraison : introduction et recueils De Raoulx, Hainl et Laussedat
Principalement à partir du milieu du XIXe siècle, peut-être à la suite de la publication de l’Album Auvergnat (sauf pour le recueil « De Raoulx » qui est antérieur), on assiste à une floraison de collections de mélodies de danse présentées sous l’étiquette auvergnate, la plupart du temps harmonisées pour piano. Ces répertoires se recoupent partiellement, cependant chaque recueil apporte son lot d’airs inédits ou de variantes, ce qui interdit de les considérer comme des copies pures et simples.
« Nous devons les airs de ces « Bourrées et montagnardes » à l’obligeance de M. J. Desaymard, l’éminent musicographe, qui en a mis gracieusement le vieux manuscrit à notre disposition » (Avertissement à « Nouvelles Bourrées et Montagnardes » par J. Théron, éditeur Charles Perretière à Clermont-Ferrand, vers 1914).
On pourrait certes suspecter les musiciens éditeurs de ces fascicules d’avoir inventé ces airs (c’est peut-être le cas pour quelques-uns d’entre eux), mais la connaissance des recueils manuscrits étudiés précédemment nous confirme l’affirmation de Théron dans sa préface : les airs sont plutôt puisés dans de véritables répertoires de bal, antérieurs à nos recueils de quelques décennies (période 1770-1820 environ). Largement tombés en désuétude depuis, ces airs ont pris un cachet archaïque et rural pour les oreilles de 1850 ou de 1900.
Joseph Desaymard (1878-1946), qui a fourni la source du répertoire de Théron, est un érudit régionaliste auvergnat, grand ami et correspondant de Henri Pourrat. Dans le catalogue de son fonds à la bibliothèque de Clermont-Ferrand, je n’ai pas trouvé trace du « vieux manuscrit » évoqué plus haut. Dans la suite de cet article, aux paragraphes consacrés aux recueils de Théron, on pourra lire des extraits de la correspondance entre Desaymard et Henri Pourrat sur ce sujet. Ils nous éclairent sur ces échanges entre érudits et éditeurs de musique auvergnats. Le manuscrit en question serait-il le « manuscrit d’Ambert » cité dans cette correspondance, et qui aurait donc été découvert par Pourrat ?
Dans ce cas, il pourrait être conservé dans le « Fonds Henri Pourrat », qui semble n’être pas complètement inventorié à cette date.
Dans la même collection que le recueil mentionné ci-dessus, Théron a publié « Vieux Airs du Pays d’Auvergne », dans lequel il a harmonisé trente bourrées à deux temps : ces airs sont intégralement tirées du cahier du XVIIIe siècle que j’intitule « Ms Clermont 1 » (voir plus haut). Ce manuscrit, de même que le « Ms Clermont 2 » a appartenu à Adolphe Achard (1869-1942), autre érudit et historien local auvergnat.
Joseph Canteloube nous met l’eau à la bouche dans son article « La danse d’Auvergne » (dans la revue « L’Auvergne littéraire », 13e année N°85, 4e cahier 1936) : il y cite trois recueils anciens au contenu prometteur, dont nous n’avons pour l’heure aucune trace, leur description ne correspondant à aucun des manuscrits retrouvés. L’inventaire du fonds Canteloube aux archives cantaliennes ne contient rien de semblable. S’agit-il d’une affabulation, ou alors retrouverons-nous un jour ce trésor perdu ?
Le développement des villes d’eau en Auvergne et Bourbonnais, s’est accompagné à cette même époque d’une utilisation touristique des musiques et danses locales, étudiée dans plusieurs articles par l’historien de Vichy Pascal Chambriard. Edmond Lemaigre introduit ainsi son recueil « Souvenir d’Auvergne » (Edité chez Alphonse Leduc, 1890) : « En publiant ce recueil de Bourrées et Montagnardes d’Auvergne, mon but a été d’offrir aux nombreux touristes qui visitent nos stations thermales un ouvrage plus complet que ceux du même genre paru jusqu’à ce jour ».
Les répertoires de danses auvergnates ont intéressé des compositeurs régionaux dès le début du XIXe siècle : on a vu que le compositeur Georges Onslow a utilisé assez précocement des citations de thèmes « auvergnats » dans ses œuvres, et j’en donnerai quelques autres exemples dans un chapitre sur ce thème. On retrouve, parmi les auteurs de nos recueils de bourrées « arrangées pour le piano », nombre de musiciens ou éditeurs du même milieu musical clermontois. Sur ce sujet, j’ai trouvé beaucoup de documentation sur les sites suivants :
- http://george.onslow.free.fr/
- https://sites.google.com/site/onslowassociation/
- https://sites.google.com/site/musiqueetauvergne/
Tous ces recueils constituant un corpus relativement homogène, je les présenterai donc dans un même chapitre. Je réserve pour la suite l’examen de recueils régionaux faits dans un autre esprit, qui se veut plus ethnographique, à commencer par l’Album Auvergnat (même si les chronologies et les répertoires des deux ensembles s’entremêlent).
01) Recueil de Maurice De Raoulx : « Bourrées d’Auvergne et montagnardes arrangées pour la flûte »
Ce recueil est à ranger un peu à part de ceux qui vont suivre, car il est publié plus tôt que les autres, bien avant l’Album Auvergnat qui sert de pivot à cet article. En effet, l’éditeur de musique, Alexandre Petit, a exercé pendant une période bien délimitée, à Paris de 1825 à 1838, avant que son fonds ne soit racheté par un successeur. Il inaugure toute une lignée de recueils sur le même thème (souvent publiés par des éditeurs clermontois) qui s’échelonneront tous au long du XIXe siècle. En illustration de couverture, on trouve souvent le même genre de gravure, représentant une scène de danse villageoise en costumes régionaux.
Maurice de Raoulx est un musicien assez obscur, sur lequel on ne trouve que très peu de renseignements. Le peu qu’on trouve permet toutefois d’en esquisser un portrait assez étonnant : actif environ entre 1820 et 1850, il a été au début de la Monarchie de Juillet très lié au milieu royaliste légitimiste, notamment à la Duchesse du Berry, dont il était le guitariste attitré. Son nom apparaît à plusieurs reprises dans la revue légitimiste « Le Revenant » en 1832, et il publie plusieurs romances manifestant son engagement politique.
On peut suivre une partie de l’histoire de ses publications dans des revues bibliographiques publiées chaque année, la « Bibliographie de la france : ou journal général de l’imprimerie et de la librairie » (à partir de 1811), et le « Journal général d’annonce des œuvres de musique gravures et lithographies, publiés en france et a l’étranger. » (à partir de 1825). Entre autres œuvres, il publie des chansons et romances avec accompagnement de guitare, ainsi que diverses transcriptions pour le même instrument, mais aussi des méthodes : pour le hautbois et pour la trompe de chasse (1841), ainsi qu’une « Méthode d’accordéon pour apprendre sans maître » (1851).
En revanche, sa fiche wikipédia comporte une erreur, en lui attribuant un perfectionnement de la facture de la trompe de chasse : il s’agit d’une confusion due à une erreur d’orthographe commise par Boursier de la Roche, qui dans son livre sur ce sujet (1930), a ajouté un « l » au nom de « Raoux », dynastie de célèbres facteurs de cors, trompes et trompettes du XVIIe au XIXe siècle, issus d’une famille de chaudronniers auvergnats.
On retrouve la trace de Maurice de Raoulx en 1854, où il propose à la direction nationale des lignes télégraphiques une invention de cryptage (non retenue par l’administration), permettant d’envoyer des messages secrets sous forme musicale.
En 1843, un Amédée de Raoulx publie un quadrille pour piano, et un « Cantique composé et dédié à SAR Mme la duchesse d’Orléans », et « A.M. De Raoulx » publie une Jota aragonaise : on peut se demander si nous n’aurions pas là une seule et même personne, nommée Amédée-Maurice de Raoulx.
Rien, dans ces maigres renseignements, n’indique une relation particulière de notre musicien avec l’Auvergne. Pourtant, il va, le premier à ma connaissance, publier une riche collection de 63 mélodies de danse, « arrangées pour la flûte » : trente-huit bourrées à deux temps, et vingt-cinq montagnardes, dont un peu moins des deux tiers figurent dans l’Album Auvergnat. Quelques-unes sont notées deux fois, sous des numéros différents, avec des variantes mélodiques (seconde phrase différente, ou bien version simple chantable, et version instrumentale plus développée).
En comparant attentivement les deux recueils, il apparaît que, sauf trois exceptions (dont les deux « bourrées d’Aigueperse »), toutes les bourrées et montagnardes instrumentales de l’Album Auvergnat figurent dans le recueil De Raoulx, sous des versions presque toutes identiques. Plus troublant, vingt-et-un de ces airs sont écrits dans la même tonalité que chez Bouillet, contre six dans un ton différent. Quand il y a divergence, les tonalités chez De Raoulx sont plus basiques et confortables pour la flûte et le violon : Ré dans quatre cas, Sol et Mi mineur, au lieu de Sib, Fa, La et Sim chez Bouillet.
Quelques menues différences, ne portant souvent que sur une seule note, n’empêchent pas de penser que les deux répertoires sont fortement liés : Bouillet et De Raoulx ont-ils puisé à la même source, ou bien l’un des deux est-il redevable à l’autre ? L’antériorité de sa publication, ainsi que la présence d’un bon tiers de répertoire supplémentaire, laisserait penser que De Raoulx pourrait être en amont : dans cette hypothèse, Bouillet aurait-il puisé, non exhaustivement, dans ce cahier pour établir son répertoire instrumental, qu’il aurait complété avec un répertoire chanté issu de ses recherches, et inconnu de De Raoulx ? On peut tout aussi bien imaginer qu’ils aient eu le même informateur, ou encore que De Raoulx ait eu connaissance du travail de Bouillet et l’ait devancé en publiant son recueil à Paris, mais cela me paraît un peu trop tiré par les cheveux.
L’hypothèse précédente laisse entière la question des sources de Maurice de Raoulx, et de la teneur de ses relations avec l’Auvergne. Il est vrai que la présence auvergnate à Paris, où il a résidé, est déjà bien attestée à cette époque, mais concerne-t-elle les milieux sociaux et géographiques qui pratiquaient ce genre de répertoire ? En tout cas, la musique bien connue de la communauté auvergnate un siècle plus tard, dominée par la Haute-Auvergne, n’a gardé quasiment aucune trace de tous ces airs, en particulier des bourrées à deux temps. Mais à l’époque, il peut avoir suffi d’un seul informateur, auvergnat et musicien ou connaisseur en musique de bal, pour communiquer ce répertoire à Maurice de Raoulx, soit à Paris, soit lors d’un voyage en province.
Parmi les airs de bourrées inconnus de Bouillet, on retrouve le « Rigaudon » de Dauternaux, et beaucoup d’airs originaux, toujours dans le style fin XVIIIe des contredanses « allemandes ». Parmi les montagnardes, on peut relever la N°44, qui me paraît être un antécédent de plusieurs mélodies de bourrées du Massif Central recueillies au XXe siècle : par exemple « La galinette » et « Cau cambiar de mia » connues dans le Cantal, « Setz maridadona mia » publiée par Canteloube, ainsi que plusieurs bourrées « coulées » de violoneux artensiers et corréziens.
Il est assez exceptionnel de relever une telle parenté entre les répertoires de ces deux époques. Certaines montagnardes chantées issues de ces publications du XIXe siècle sont certes très connues, mais leur diffusion a pu être favorisée par d’autres canaux que la « pure » tradition orale. C’est le cas par exemple d’une suite de mélodies de montagnardes, apprises dans les écoles par les enfants auvergnats, et restituées des décennies plus tard lors des collectes fin XXe siècle :
L’histoire dit grand bien de ces vaillants Arvernes Qui furent les aïeux des braves Auvergnats Tels que des rudes ours traqués dans leurs cavernes, En face de César ils ne tremblèrent pas ! J’entends les fils des Celtes qui frappent du talon S’ils ne sont pas très sveltes, tous ils sont bien d’aplomb. Sonne sonne musette, sonne vielle et crincrin Le soleil fait risette, il nous met tous en train. Jeunesse gaillarde, sais-tu des chansons, A la montagne, tournons et dansons ! Dansons joyeusement près de ce vieux cratère Que vient de reverdir le mois de mai vainqueur Le feu bouillonne encor sous notre dure terre, Et les enfants d’Auvergne ont une flamme au cœur ! Sous la rugueuse écorce la sève bat toujours Ah ! Gare bien ta force ! Fais vivre tes amours. Aux nombreuses familles notre sol suffira ! Pour nos fils et nos filles la moisson mûrira ! Le ciel est splendide, fillettes, dansons ! La terre est solide : dansons mes garçons ! Si tu vas à Paris pour y chercher fortune Peut-être que là-bas tu seras bien déçu. Tel quitte le pays pour décrocher la lune, Qui s’en revient chez nous triste et fort peu cossu. Le pain qu’ici l’on gagne pour nous est le meilleur Ah ! Vive la montagne ! Tu languiras ailleurs. L’eau des lacs s’illumine au soleil du printemps Sur la fraîche aubépine les oiseaux vont chantant ! Au diable les villes ! Nos prés sont plus beaux ! Fillettes agiles, dansons en sabots !
Cette chanson emprunte les airs des montagnardes N°51 et 58 de Maurice de Raoulx (toutes deux figurant aussi dans l’Album Auvergnat), sur lesquelles des paroles ont été écrites par le poète Maurice Bouchor, coopérant de 1895 à 1907 avec Julien Tiersot pour la collection « Chants populaires pour les écoles ».
Quelques autres montagnardes de ce recueil ont résisté à l’oubli, par une transmission plus orale et populaire que les précédentes : « Para lo lop » dans ses versions mineures (N°53) et « Quand passaretz petita », recueillie avec ces paroles en Bas-Limousin par François Célor fin XIXe (N°48). Les autres montagnardes du recueil sont de style plus daté, et n’ont pas de postérité dans la tradition orale.
Partitions
Listes de lecture audio
02) Recueils d’Alice Hainl : « Bourrées d’Auvergne et du Bourbonnais transcrites pour le piano » et « Montagnardes du Puy-de-Dôme et du Cantal transcrites pour le piano ».
Marguerite Alice Hainl serait née en 1835, et donc très jeune quand paraissent sous son nom (en 1855, d’après le Dictionnaire des éditeurs de musique français – Devriès et Lesure, 1988) ces deux recueils de danses régionales « transcrites pour le piano », chez un éditeur parisien. Avant d’examiner leur contenu musical, voyons qui était cette musicienne. La recherche par voie numérique ne donne que très peu de renseignements sur elle-même, sinon qu’elle fut l’épouse de Paul Dumarest qui fut avocat, journaliste puis préfet de différents départements.
En revanche, la vie de son père, François dit Georges Hainl, qui fut une figure musicale éminente, nous apporte beaucoup d’éléments éclairants, même si les descriptions de ses premières années musicales sont légèrement fluctuantes selon les sources. On peut la résumer ainsi : de ménétrier ambulant en Auvergne, à la direction de l’Orchestre de l’Opéra de Paris.
La famille Hainl s’enracine en Auvergne avec l’arrivée à Issoire de deux frères, Georg et Franz, prisonniers de guerre autrichiens lors des guerres de la Révolution. Ils exercent dans cette ville leurs métiers de cordonniers, maître de musique et ménétrier.
Le fils de Georg, François dit Georges (né en 1807), joue du violon « de village en village entre Issoire et Saint-Flour », avec son père, comme musicien de bals et de noces. Arrivé à Saint-Etienne en 1824 avec sa famille, il joue quelques mois dans une troupe de comédiens ambulants, puis apprend rapidement le violoncelle et entre au Conservatoire de Paris. Il commence ensuite une carrière musicale prestigieuse, surtout comme chef d’orchestre : de 1840 à 1863, il dirige celui du Grand-Théâtre de Lyon, puis l’Opéra de Paris jusqu’à sa mort en 1873, ainsi que l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire.
On trouvera dans les documents pdf suivants quelques articles biographiques, où ces éléments sont puisés, ainsi que dans un livre : « Auvergnats malgré eux: prisonniers de guerre et déserteurs étrangers days le Puy-de-Dôme pendant la Révolution française (1794-1796) » (Frédéric Jarrousse, Presses Univ Blaise Pascal, 1998).
- George Hainl (fiche wikipedia).pdf
- Georges et Alice Hainl (éléments biographiques).pdf
- La Rue, Paris pittoresque (27-07-1867) article sur G Hainl.pdf
Ses attaches initiales avec l’Auvergne s’expriment dans le titre de deux de ses (peu nombreuses) compositions : « Souvenirs des eaux du Mont-Dore, fantaisie pastorale » pour violoncelle, avec accompagnement de violons, alto et basse, et « Souvenirs du Bourbonnais ». Il serait intéressant de pouvoir consulter les partitions (non numérisées pour l’heure), pour savoir si, à l’instar de celles d’Onslow, elles contiendraient des réminiscences de mélodies régionales.
Son épouse, née Marie Dumas, est décrite comme une excellente pianiste, et deux de leurs filles, Alice et Marie, ont participé occasionnellement aux concerts de leurs parents, d’après la presse régionale.
Au vu du jeune âge d’Alice Hainl à la date d’édition supposée des recueils, et surtout connaissant les antécédents de son père, il me paraît raisonnable de supposer que le répertoire qu’elle donne soit hérité de la pratique ménétrière de son père entre 1815 et 1824, lors de ses premières années d’activité en Auvergne. Georges Hainl quitte l’Auvergne en 1824, et il ne semble pas y avoir résidé par la suite. De plus, le style de ce répertoire correspond tout à fait à celui des cahiers de bal manuscrits de cette période, que nous avons vus précédemment.
Il faut quand même remarquer que ce répertoire recoupe partiellement celui de l’Album Auvergnat, paru peu de temps auparavant, avec les mêmes titres et dans les mêmes tonalités. Toutes les versions sont identiques dans les deux recueils, à quelques détails près. Toutes les bourrées données par Hainl sont dans l’Album Auvergnat, sauf quatre attribuées au Bourbonnais . Le cas est à peu près semblable pour les montagnardes, mais Hainl donne six mélodies (dont certaines comportant plus de deux phrases musicales) absentes de l’Album Auvergnat, et attribuées à des villes des monts d’Auvergne. Sur deux autres airs, il y a divergence des versions mélodiques, et un ou deux autres comportent des différences d’altérations passagères ; d’autre part Bouillet donne les paroles de plusieurs montagnardes qui sont instrumentales chez Hainl. Lequel a puisé chez l’autre ? Je n’aurai pas la prétention de trancher cette question.
La question de la réalité des attributions géographiques de tous ces airs me paraît aussi problématique, que ce soit chez Alice Hainl ou chez Jean-Baptiste Bouillet, bien que je n’aie pas d’éléments concrets pour en juger.
Parmi ces montagnardes inconnues, deux sont très atypiques, une « Montagnarde du Mont-Dore », et une autres « de Saint-Nectaire », dite « Le petit-Jean ». Elles sont écrites en notes inégales (croche pointées/double croche), et leur ligne mélodique est peu compatible avec le tempo que nous connaissons aux bourrées à trois temps : leur tournure mélodique m’évoque plutôt les menuets du XVIIIe siècle.
Une question surprenante que l’on est amené à se poser, est celle de l’influence allemande et autrichienne sur ces répertoires « auvergnats », « bourbonnais » et autres. Au-delà du cas particulier et peut-être anecdotique des frères Hainl, qui ont pu introduire dans les bals en Auvergne des airs germaniques issus de leur pratique ménétrière dans leur pays natal, cette influence est notable sur la musique de danse française de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Un article décrit la forte présence de musiciens, compositeurs et éditeurs d’origine germanique à Paris à cette époque (consultable ici : https://journals.openedition.org/hommesmigrations/3015 ).
J’ai déjà mentionné l’identité de style mélodique existant entre les contredanses dites « allemandes » (genre très pratiqué depuis les années 1760), et les bourrées à deux temps notées à cette époque. D’autres danses germaniques, et aussi slaves arrivées par l’Europe Centrale, s’ajoutent aux danses en vogue vers 1800 : Steirisch, Polonaise, Mazur ou « walse russe », en attendant les polka, schottisch, mazurka et autre redowa à partir de 1844.
Mais surtout, depuis l’extrême fin du XVIIIe, les « Walzes » et allemandes à trois temps, issues des Ländler, Deutsche Tänze, et autres Schwäbisch, détronent le menuet dans les répertoires de danses à trois temps et font l’objet d’innombrables compositions et recueils. Leurs tournures musicales imprègnent aussi nombre de montagnardes de cette époque (je parle du début XIXe siècle), surtout dans les mélodies instrumentales : prédominance du mode majeur, omniprésence des arpèges sur les accords de tonique et dominante, phrases carrées et symétriques, mesure à trois temps martelée dans la mélodie (rythme « oum-pa-pa »). Ce style sera en revanche beaucoup moins présent dans les bourrées (trois temps) recueillies ultérieurement par voie orale.
Partitions
Listes de lecture audio
03) Recueil de Charles Laussedat « Bourrées, bourbonnaises et montagnardes arrangées pour piano seul » (1867)
Charles Laussedat (1834-1896) appartient à une dynastie de luthiers, marchands d’instruments et éditeurs de musique basés à Clermont-Ferrand, avec une succursale à Vichy. En 1867, il publie ce recueil de bourrées et montagnardes, qui sera maintes fois réédité : en 1877 et 1887, et il figure encore vers 1914 au catalogue de Charles Perretière (successeur de la maison Laussedat) sous plusieurs versions, dont trois pour piano, et sous des arrangements pour cornet par Knitel et pour fanfare par Gouirand. On peut trouver ici des renseignements sur la famille Laussedat : http://luthiervents.blogspot.com/2021/05/jean-baptiste-laussedat-charles.html
Le répertoire donné ici recoupe beaucoup les recueils précédents, mais comprend en plus quatre « bourbonnaises ». Il s’agit de mélodies de danse instrumentales à trois temps, parfois connues ailleurs comme montagnardes. Elles sont dans ce style 1800, selon moi assez marqué par l’influence des danses germaniques, que j’ai déjà évoqué.
Partitions
- 05-03a – Recueil Laussedat (Bourrées).pdf
- 05-03b – Recueil Laussedat (Bourbonnaises).pdf
- 05-03c – Recueil Laussedat (Montagnardes).pdf