Les « Aires del païs » de l’abbé Victor Pourville

Illustration : couverture du recueil Pourville

En 1931 paraît «Lou Cabrettairi de Nadalou et de Nostra Dama », recueil de Noëls et cantiques en occitan limousin, (et aussi en français) par l’abbé Victor Pourville, à l’époque curé de Chamboulive. Ce livre assez imposant vient rassembler et complèter plusieurs recueils qu’il avait précédemment publiés, échelonnés sur une quarantaine d’années depuis 1888.

Né à Argentat en 1854, et mort en 1941, Jean-Victor Pourville fut ordonné prêtre le 15 juin 1878, à Tulle, et fut successivement curé de plusieurs paroisses corréziennes : Valiergues, Queyssac-les-Vignes, Saint-Privat, Chamboulive. On trouvera plus de renseignements biographiques dans l’article de Philippe Randonneix (voir référence plus bas).

Son activité pastorale à Chamboulive est brièvement évoquée dans le livre « Bonnes fontaines en Corrèze : légendes, croyances, traditions » (Université du 3e âge de Brive et sa région; Maurice Vergne, 2002), à propos des processions populaires, peu à peu interdites par des maires anticléricaux au début du XXe siècle, et qui furent sans doute un des contextes où étaient chantés ses cantiques.

Illustration : extrait 1 du livre « « Bonnes fontaines en Corrèze »
Illustration : extrait 2 du livre « « Bonnes fontaines en Corrèze »

Son oeuvre publiée témoigne de la volonté constante de ce prêtre, au fil des diverses paroisses qu’il a eu en charge, de s’adresser aux gens dans la langue du pays, par la création ou l’adaptation d’un répertoire para-liturgique populaire. Les chants sont répartis en plusieurs catégories : le « Nadalairi » (Noëls), le « Marialairi » (piété mariale) et le « Missiounnairi » (chants sur les saints et autres).

Parmi ces créations, certaines manifestent une certaine ambition, en proposant des chants organisés en suites narratives, au-delà d’une collection de cantiques indépendants. On peut remarquer en particulier des pastorales pour le soir et la nuit de Noël, peut-être inspirées des pastorales provençales. Il s’agit de jeux scéniques dialogués sur une suite de différentes mélodies, par les personnages de la Nativité (Anges, Bergers et autres figures populaires, et bien sûr Joseph et Marie). Ces pastorales ont été chantées en situation, à au moins une occasion :

Illustration : extrait de « Dires limousins – La Noël » par Lemovix (Brive 1893

« De nos jours une renaissance de la Pastourela a été tentée par M. l’abbé Pourville, curé de Queyssac, qui a agréablement intercalé dans des scènes de sa façon, des noëls anciens et le tout ainsi arrangé a été chanté pour la première fois dans la grande église de Beaulieu, la nuit de Noël 1883. »

(« Dires limousins – La Noël » par Lemovix, Brive 1893)

On peut aussi signaler qu’un cantique de l’abbé Pourville est toujours chanté à Queyssac-les-Vignes le 3 février, pour célèbrer la Saint-Blaise (article de La Montagne du 11/02/2017).

La « Chanson limousine de Saint-Jean-Baptiste » est un ensemble de huit chants évoquant le saint, sa vie, sa prédication et sa mort, ainsi que les fêtes et évènements liés à la période de la Saint-Jean (moissons, mariage). Un autre cycle de quatorze chants fait le récit des apparitions mariales à Lourdes, et évoque les pélerinages des paroissiens. D’autres chants évoquent plusieurs sanctuaires mariaux de la région, d’autres figures de saints, et divers thèmes de prédication missionnaire. Enfin, deux très longs chants narrent longuement la Passion du Christ.

Illustration : page intérieure du recueil Pourville

Au milieu de nombreuses mélodies qualifiées d ‘ « Aire méu », c’est-à-dire de la composition personnelle de Victor pourville, d’autres portent différentes mentions d’origine, par exemple provençale ou gasconne, ou plus rarement des noms d’auteurs. Le présent article vise en revanche à présenter les mélodies portant la mention « Aire del païs », c’est-à-dire des airs vraisemblablement recueillis en Corrèze et pouvant être qualifiés de traditionnels (même si quelques-uns paraissent d’une autre facture musicale). Les compositions de l’abbé Pourville, qui selon moi témoignent de sa réelle imprégnation du répertoire traditionnel, feront l’objet d’un autre article.

J’ai donc numéroté et trancrit les airs « du pays » dans l’ordre où ils se présentent dans le livre. Pour les enregistrements, j’ai conservé les tonalités d’origine, l’auteur ayant fait le choix de tons très courants, la plupart du temps sol majeur et la mineur. Les indications de mouvement, andante, andantino et moderato, suggèrent des tempos modérés voire lents pour tous les airs, et j’ai choisi de les jouer sur une flûte grave pour être en accord avec ce climat de douceur. J’ai tâché de rester au plus près de la partition.

On peut reconnaître plusieurs mélodies de Noëls limousins connues par d’autres sources, et dont l’abbé Pourville a tantôt réécrit complètement, tantôt conservé ou complété les paroles ttraditionnelles (le même air est parfois repris pour deux cantiques) : Un jòune pastre somelhava (N° 4 et 18, voir recueil Lemouzi), Venetz pastorels (N°2, voir recueil Lemouzi et Léon Peyrat), La terra es freja (N°9 et 19, voir recueil Lemouzi), Revelhatz-vos pastorels (N°12 et 26, idem), D’où viens-tu bergère (N°15, idem), A vous troupe fidèle (N°6, voir recueil « Lemosins chantem nòstre pais » de Charente limousine, et la chanson « Mariden la Liseta » dans le recueil Lemouzi). Le chant N°25 reprend la mélodie bien connue de « La Passion de Jésus-Christ », avec un petit développement de l’auteur.

Illustration : première page de partitions du recueil Pourville

Un autre Noël connu, « Enfants de la campanha » (voir recueils Rupin et Lemouzi), a une histoire particulière : d’après François Célor, cette mélodie, utilisée par la chanson satirique « La negra e lo peulh » (La puce et le pou), a été reprise par l’abbé Talin de Tulle, pour composer ce Noël vers 1850. Célor rattache cet air à une célèbre rengaine d’Afrique du nord, « Trabalha la mouquère », ce qui est confirmé par un témoignage publié par le Bulletin de la société historique etc de la Corrèze, suite au recueil Rupin. Peut-être que la romance « Radoudja ma maîtresse » citée ici en est une version plus ancienne et plus sérieuse (Eugène Marbeau est né en 1825) :

M. Eugène Marbeau, ancien conseiller d’Etat, envoie la note suivante au sujet de la musique du Noël Efons de la campagna qui a été reproduite à la page 107 du Bulletin de cette  année :

«  J’ai reconnu dans la musique de M. l’abbé Pourville, la  mélodie d’une romance qui était célèbre quand j’étais jeune et qu’alors on disait rapportée d’Arabie. Le Noël Efons de la campagna, après une première partie insignifiante et peu en harmonie avec le texte, prend, en les intervertissant, les deux phrases de Radoudja. Qui a fait le plagiat? Est-ce le Noël? Est-ce  l’importateur de la chanson arabe ? Je ne me charge pas de trancher la question. Mais la  coïncidence est curieuse et peut offrir de l’intérêt pour les lecteurs du Bulletin ».

Illustration : Note sur le Noël « Enfants de la campanha » (Bulletin de la Société historique etc, Brive 1898 p.475)

Le N° 1 « Nadal ! Nadal ! » est donné sur l’ « air de la granda », avec l’indication de mouvement « largo », ce qui correspond au caractères des « grandes », ces chants de labour disparus. On peut remarquer la parenté de cette mélodie, mais ici en mode majeur, avec « De grand matin se leva la Liseta », donnée comme chant de moisson par François Célor (et dans le recueil Lemouzi).

Les autres mélodies me sont inconnues.


BIBLIOGRAPHIE

  • « L’oeuvre de Victor Pourville et son interprétation à la chabrette » par Philippe Randonneix
    De l’écriture d’une tradition orale à la pratique orale d’une écriture (éditions FAMDT-Modal, 2001, pp. 229-241)

Ouvrages de Victor Pourville :

Illustration : recension du recueil Pourville (revue Lemouzi, 1909)
  • Recueil de cantiques – Patois limousins – augmenté de quelques cantiques français (Noëls- Pâques – Missions – Catéchismes – Fêtes de la Sainte-Vierge – St-Pierre, Ste Marie-Madeleine, St-Pardoux) par l’abbé Victor Pourville – Curé de Valiergues (Ussel – Imprimerie Paul Raclot, Rue de la Cure, 1888)
Illustration : couverture du recueil Pourville de 1888
  • Cantiques en patois du Bas Limousin augmenté de cinquante cantiques en français les plus populaires
    par l’abbé Victor Pourville – Curé de Queyssac
    (320 pages, airs édités séparément, éditeur inconnu, 1892)
Illustration : mention du recueil Pourville de 1892 (revue « Le messager du coeur de Jésus », 1892)
  • O Nostro Damo de Réc-Omodou, en patois do Quoyssac
    Par l’Abbé Victor Pourville (curé de Chamboulives)
    (8 pages, Imprimerie Saint-Joseph, 1893)
  • Lou Nadalaire, lou Missionnaire. Cantiques en patois du Bas Limousin augmentés de quelques cantiques français… 3e éd. revue et augmentée
    Abbé Victor Pourville, curé de Saint-Privat
    (398 pages – Imprimerie Sainte-Cécile, 1902)
  • La Cansou lemousina de senct Dzan Baptista
    Abbé Victor Pourville (curé de Chamboulives)
    (32 pages – Desclée, De Brouwer et Cie, 1921)
  • Lou Cabrettairi de Nadalou et de Nostra Dama
    V. Pourville – Curé de Chamboulive (Corrèze)
    (582 pages – Editions Publiroc, Marseille, imprimé par Desclée-De Brouwer, 1931)

Autres recueils cités :

  • Recueil Lemouzi :
    Chants et chansons populaires du Limousin – par Léon Branchet, Jean-Baptiste Chèze et Johannès Plantadis (Lemouzi N°136, 1995)
    (réédition de chansons publiées dans la revue Lemouzi au début du XXe siècle)
  • Recueil Célor :
    Chansons populaires et bourrées recueillies en Limousin avec musique, traduction et annotations musicales – par François Célor (Imprimerie Roche, Brive, 1904)
    (chansons d’abord publiées dans le Bulletin de la Société scientifique historique et archéologique de la Corrèze au cours des années 1890).
  • Lemosins chantem nòstre pais :
    Lemosins chantem nostre païs, livret, cassettes et CD, éd. ADDM, Angoulême, 2002 (éd. réalisée par Roger Pagnoux et Valentin Degorce, avec le concours de Michel Valière, des Rejauvits de Chabanais, de la Gerbo Baudo et des interprètes (Anne-Marie Violleau, Bernard Enixon, Christian Barrier, Françoise Brun)