Marcelle Delpastre et la musique
Avec Marcelle Delpastre, disparue en février 1998, s’en vont une femme et une oeuvre originales, expressions universelles d’une façon limousine de « regarder le monde » et d’en parler.
Nous avons demandé à Jan dau Melhau, compagnon attentif de son art et héritier spirituel de l’artiste corrézienne, de nous parler de cette facette moins connue de l’écrivain: la musique et les chansons.
«Qu’elle n’eût jamais dansé, elle qui accordait si grande importance à toute danse, Marcelle Delpastre en avait quelque regret mais regret bien autrement fort de n’avoir pas joué d’un instrument (son père jouait d’une mandoline rapportée de captivité en 1918, et savait le solfège). Bah, restait la voix, cet instrument premier, et le chant, chanter était véritablement pour elle comme respirer, parler, rire, cela faisait partie de
la conversation : à propos d’une idée, sur la queue d’un mot, la chanson arrivait, en situation, comme en citation. Elle pouvait être traditionnelle, dater de sa jeunesse ou de celle de ses parents, avoir été apprise à l’école ou entendue, via quelque platine d’opéra ou d’opérette, sur le vieux phono.
Pour ce qui est du chant de tradition limousine, tous ceux (ils furent nombreux, scrupuleux ou non) qui vinrent à Germont la mettre à contribution, savent la richesse de son répertoire (servie par une mémoire prodigieuse), alors même que l’aire de sa collecte n’avait jamais dépassé le village.
Sa voix, qu’elle savait rendre faussement théâtrale, franchement rigolarde ou recueillie sans affectation, si elle n’avait pas un timbre exceptionnel, avait un rythme très sûr, très subtil même. Et c’est bien d’ailleurs ce grand sens du rythme qui (forme et fonds mêlés) marque sa poésie et, à qui la lit, donne bien autre envie que cette lecture silencieuse et solitaire, celle de la dire et de l’entendre dire à haute et pleine
voix, et de la partager comme il sied lorsque la parole devient le verbe. Et je sais bien, moi qui la dis souvent, qu’alors, irrésistiblement, tout mon corps se met en mouvement.
De cela, elle était pleinement consciente. Alors que je lui proposais de mettre en musique quelques uns de ses Saumes pagans, elle m’avait répliqué avec humeur : « Ma poésie a sa musique, elle n’a pas besoin de la vôtre ! » Par contre elle aimait bien que l’on fit de la musique autour de ses poèmes, ne lui déplaisait pas qu’on les psamoldiât sur quelque bourdon. Pourvu, toujours, qu’on en respectât bien le rythme. On se souvient du beau spectacle, complet : parole, musique, décor embrasé en apothéose, que le groupe cantalien « En Peira Crôsa » avait monté à partir de son long poème bilingue Nathanaël sous le figuier.
Nous avions souvent, tous deux, animé des veillées où alternaient contes et chants. Elle en avait tant animé seule, ici où là, auprès des vieux de la Maison de retraite de Chamberet, pour les petits Parisiens en classe verte au centre de Scoeux.
Sait-on que de chansons, elle en avait même fait sept dites « à charger le fumier » (comme leur nom l’indique), paroles et musiques, pas si mal, ces
chansons et qu’elle m’avait confié les paroles d’une Chançon dau petit Uedipa, dont je fis une suite musicale pour le Festival de Montauban.
Quoras menaretz que la sanfonha, Melhau, per las nos far auvir ? » Quand amènerez-vous la vielle, Melhau, pour nous la faire entendre ? » Paroles entendues si souvent, auxquelles je regrette à présent d’avoir si peu cédé».
Jan dan Melhau, 27 mars 1998
Nouvelles Musicales en Limousin, n° 54, mai-juin 1998.