« Le Serpent d’étoiles » : Un hymne à l’oralité
Du 7 au 10 août 2003, le festival de Sédières présentera une adaptation du « Serpent d’étoiles » de Jean Giono interprétée par la Compagnie Barbaroque avec la complicité de l’ensemble Vielles-Cornemuses du Département de Musiques Traditionnelles du CNR de Limoges. Construite autour d’une réunion de bergers nomades qui, une fois l’an, rejouent l’histoire de la création du Monde sous la forme d’un “concours de poésie”, cette table en musique se déroulera en plein air de manière itinérante, valorisant ainsi des sites inattendus et cachés du parc du Château de Sédières. Quelques questions à Didier Capeille, responsable de la compagnie Barbaroque, sur le “Serpent d’étoile” qu’il définit comme « un hymne à la richesse foisonnante et à la vitalité fabuleuse de l’oralité qui serpente en semant des étoiles ».
Les Nouvelles : Beaucoup de vos créations sont conçues pour être présentées en plein air (le Serpent d’étoiles, l’Histoire du loup, le Carillon Céleste, etc.) Qu’est-ce qui vous motive à réaliser ces spectacles hors des lieux habituels de diffusion ?
Didier Capeille : Par goût. Par plaisir de ne pas être enfermé même si cela entraîne des complications techniques et des contraintes liées aux intempéries par exemple. C’est une vocation de campeur’ en quelque sorte. C’est le côté un peu nomade aussi.
Les Nouvelles : En présentant l’année dernière « l’Histoire du Loup » au festival de Sédières, vous avez une expérience artistique du site. Comment ce type de lieu structure la conception et la construction du spectacle ?
Didier Capeille Habituellement, les organisateurs de spectacles nous présentent un site qu’ils aiment bien et nous demandent ce que nous pourrions y faire. A Sédières, ce fut plutôt le contraire. Henri Leboulleux, Directeur de l’ADIAM de la Corrèze, souhaitait programmer « l’Histoire du loup’ dans ce site qui permet de faire beaucoup de choses grâce à ses plans d’eau, ses petites collines et ses arbres.
L’idée du spectacle du ‘Serpent d’étoiles » nous est venue en se promenant sur ce lieu, où l’on a découvert un endroit qui se prêtait idéalement pour jouer le spectacle, mais aussi en raison de la référence dans l’oeuvre de Giono à la thématique des troubadours. En effet, ce qui a motivé son écriture, au dire de l’auteur, c’est que les troubadours ont été les acteurs de la renaissance de la poésie lyrique qui avait disparu au moment de la conquête romaine. Alors, c’était une occasion rêvée de mettre en rapport le site de Sédières, au coeur d’un pays et de l’histoire des troubadours avec cette poésie lyrique qui nous concerne, car on avait déjà monté la première partie du « Serpent d’étoiles » pour le centenaire de la naissance de Giono à la demande du centre de Manosque.
Les Nouvelles : Vos créations semblent marier souvent des musiques très différentes (classiques, baroques, traditionnelles, intégrations d’un orgue mécanique à un ensemble instrumental…). Qu’est-ce qui vous motive à croiser les musiques et leurs acteurs ?
Didier Capeille : La curiosité. Et uniquement cela. Dans ce spectacle, on essaie de refaire une histoire de la musique qui serait un petit peu plus amusante que celle présentée habituellement. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui ont été écrites par pur hasard ou par nécessité, pour reprendre la grande théorie de Jacques Monod. Le hasard des gens que l’on rencontre: par exemple l’ensemble vielles-cornemuses de Philippe Destrem que nous ne connaissions pas. La nécessité : quand on est chargé de faire quelque chose et de trouver des musiciens, on fait appel à ceux qui sont à côté en tenant compte de ce qu’ils jouent et de quoi ils jouent. Par exemple, Jean Sébastien Bach a écrit ses concertos Brandebourgeois, non pas de sa propre initiative, mais en réponse à la commande d’une tête couronnée. Il s’est renseigné pour savoir ce qu’il y avait comme musiciens à la Cour, de quoi ils jouaient et comment ils en jouaient. Toute l’histoire de la musique n’est faite que de choses comme cela. Les musicologues peuvent mettre les intentions les plus nobles pour expliquer la création des œuvres musicales, mais en fait, ce sont des histoires de musicologues. Dans le « Serpent d’étoiles », on raconte cela dans le cadre d’une confrontation entre un grand musicologue, un éminent professeur, qui avance péremptoirement des théories très savantes, et des réalités toutes simples, toutes bêtes qui font rire tout le monde et qui sont en fait les vraies raisons, souvent inavouables. En fait, depuis la fin du XVIIIe siècle, depuis le classicisme, l’artiste est sur une espèce de piédestal où il est sensé être coupé des réalités du monde alors que ce sont les réalités du monde qui, dans la majorité des cas, conditionnent son œuvre.
Les Nouvelles : La fable en musique du « Serpent d’étoiles » aborde aussi la thématique de la dynamique de la transmission orale. Pouvez vous nous en dire en peu plus à ce sujet ?
Didier Capeille : La transmission orale est la seule chose que l’on ne peut pas détruire. On peut brûler toutes les bibliothèques mais on ne peut pas quand même tuer tout le monde Je prends, pour exemple, une fiction de musicologie. On peut imaginer qu’il n’y ait plus d’électricité sur la planète Terre. On se retrouverait donc à zéro. Dans cinq cents ans ou mille ans, un musicologue va se pencher sur un phénomène musical très particulier, à la charnière du XIXe et du XXe siècle, qui est la naissance du Jazz. Il va rassembler les écrits sans pouvoir consulter les sources sonores en raison de l’absence d’électricité. Il va consulter des livres assez connus comme le Real Book qui est un catalogue de tout ce qui a été créé et actualisé dans ce domaine. A partir de ces renseignements, il va faire une reconstitution et créer un ensemble qui joue sur des instruments anciens ou sur des copies d’anciens. Tout le monde trouvera cela formidable. Mais, à mon avis, ça ne ressemblera pas beaucoup au Jazz. Chose étonnante, il n’y aura pas de batterie dans son orchestre, car ce n’est marqué nulle part. On n’écrit pas cela, tellement c’est évident. Un musicien de jazz qui se respecte n’a pas besoin du « Real Book ». Donc, ce que l’on écrit, c’est uniquement pour un but pédagogique, ou pour avoir un petit aide-mémoire pour ne pas oublier, mais, de toute façon, on n’oublie pas. Les thèmes de Django Reinhardt, on les connaît. Je joue de la guitare, je les connais tous, il n’y a pas besoin de les écrire. Finalement, on arrive à la conclusion que ce que l’on écrit, c’est pour les imbéciles et pour les gens qui ne savent pas, mais ce n’est pas pour les gens qui savent. Ce qui veut dire que si l’on appuie une reconstitution historique uniquement sur des écrits, on reconstitue la futilité. Et l’essentiel n’y est jamais, absolument jamais. Alors ensuite, on peut se poser des questions sur tout un tas de choses.
Les Nouvelles : Réinventer une réalité par exemple ?
Didier Capeille : Effectivement, à partir de ce qui est écrit, il faut imaginer la vérité. C’est exactement ce qu’a fait Giono dans le « Serpent d’étoiles », Il avait écrit ce conte pastoral en réponse à une étude d’Eduard Wechssler, Professeur à l’Université de Berlin. Giono connaissait bien Wechssler et le chercheur lui avait parlé de ce chaînon manquant dans la poésie lyrique entre la période de la conquête romaine et le Me siècle. Un jour, Giono s’est dit pour rire « et bien je vais le lui faire son chaînon manquant » ! Il a écrit le « Serpent d’étoiles » et le lui a dédicacé. A la lecture de ce livre, le professeur a tout de suite appelé Giono et lui a dit « c’est formidable, vous venez de trouver la vérité, le voilà mon chainon manquant ! » Un peu gêné, Giono, lui a alors avoué qu’il avait tout inventé. « Peu m’importe, lui a rétorqué le professeur, vous venez d’inventer la vérité l’ Je pense aussi à cette phrase de Jean Cocteau qui disait « Je suis un mensonge qui dit la vérité ». Après tout, l’imaginaire de chacun, c’est sa votre propre vérité. Elle n’est valable que pour la personne qui l’imagine. C’est pourquoi dans nos spectacles, il n’y a pas beaucoup de lumière, on n’explique pas tout, on laisse des choses dans l’ombre. Ce nest pas bouclé, ce n’est jamais bouclé.
Les Nouvelles : En tant que compositeur quelles sont vos sources d’inspirations ?
Didier Capeille : Je ne sais pas. Tout ce que je croise. C’est impossible à dire. Chaque fois que je croise quelque chose qui me plaît, ça me donne envie de m’en servir. Par contre, il y a des choses que je n’aime pas du tout. Par exemple ce qui est démonstratif, ce qui englobe une espèce de virtuosité, de démonstration de qualité, tout ce qui se montre.
Les Nouvelles : Philippe Destrem et son ensemble Vielles-Cornemuses du Département de Musiques Traditionnelles du CNR de Limoges interviennent dans ce spectacle. A ce sujet, vous avez réalisé pour cet ensemble plusieurs compositions. Est-ce que cette configuration instrumentale entraîne des contraintes ou des facilités particulières dans la composition ?
Didier Capeille : La facilité, c’est que, dès qu’il se met à jouer, c’est extraordinaire, notamment en raison de la qualité des instruments en eux-mêmes. Les contraintes, je m’en suis un peu affranchi. J’écris mes compositions puis je les envoie à Philippe Destrem. Et il s’en débrouille car il connaît ces instruments mieux que moi. Il sait ce que l’on peut faire et ne pas faire. Il fait des modifications et je ne reviens pas dessus. Le travail qu’il fait, c’est sa part de création. Du coup, il est co-créateur.
Les Nouvelles : Si vous aviez à résumer en un mot votre conception de la musique ?
Didier Capeille : Le plaisir
Propos recueillis par Dominique Meunier (CRMTL) pour les Nouvelles Musicales en Limousin, n° 75, juillet-septembre 2003.
Les 7, 8, 9 et 10 août 2003 – 21h15 au Château de Sédières. Tarif 15€ – 10€
Renseignement et réservations
Les Amis du Château de Sédiéres
19320 CLERGOUX – Tél 05 55 27 76 40