Témoignage de Fabrice Rougerie, l’un de ceux qui font revivre l’expérience collective culturelle en milieu rural
Petite commune rurale au pied du plateau de Millevaches en Haute-Corrèze, Davignac est identifiée depuis de nombreuses années par son festival musical et par son dynamisme associatif sur le plan socioculturel. Fabrice Rougerie, originaire de Davignac, membre du comité de programmation du festival depuis 1987 et détaché depuis 1999 par la FAL sur la régie générale, une partie de la programmation et l’animation, nous présente les coulisses de cette initiative.
Quelles ont été les conditions de création d’un festival sur la commune ?
C’est une rencontre entre l’ouverture d’un maire, Joseph Lacassagne, et de son équipe municipale, une demande de la génération baby-boom présente dans le village et la création au début des années 1970 d’un groupe folklorique : “L’école de Bourrée” de Davignac. Cet ensemble, autour duquel beaucoup de gens du village ont gravité, existe depuis plus de trente ans maintenant. Nous y avons tous trouvé notre compte. C’était formateur tout en nous ouvrant sur d’autres réseaux. Quand nous avons eu envie de prendre part à l’organisation, on nous a laissé les initiatives, que ce soit sur la prise de responsabilités, sur la chorégraphie ou sur les musiques.
Ensuite, s’est créé le Foyer rural qui a monté et développé le “Festival de printemps” de 1973 à 1988 à Rouffiat, un hameau au-dessus de Davignac. C’était une grosse fête populaire déjà sur la période du premier mai, où ont été programmés aussi bien du catch et du cirque, que de la variété et du folklore. Vers la fin des années 1980, l’animateur de ce groupe folklorique, Daniel Caraminot, a essayé d’ouvrir cette fête à autre chose et à d’autres formes artistiques.
Comment s’est structuré le “Festival de Davignac”
En 1987, avec les copains, nous étions fans de rock et davantage rockeurs que “tradeux”. Daniel Caraminot nous a encouragé à organiser un festival de ce type musical sur la commune de Davignac et à engager un travail structurant en le reliant par exemple aux réseaux du “Printemps de Bourges” qui venait de se constituer. C’était l’époque des premiers festivals rocks dans les alentours avec Sexcles et Domps. Nous nous sommes lancés dans cette aventure alors que nous n’avions que dix-sept ou dix-huit ans. Nous avons monté deux premières éditions régionales. Ensuite, pour professionnaliser cet événement, des partenariats avec l’ASSECARM dirigée par Jean-Michel Leygonie et avec le CAC de Tulle ont été entrepris. Sous l’impulsion de Jean-Michel Leygonie, nous avons essayé de monter un événement un peu plus important en programmant deux groupes à diffusion nationale “Myster Moonlight” et “Gil & the Gun” en 1991. Il y avait pour la première fois un semblant de régie générale et de conception technique avec Joël Vaujour, régisseur à l’époque. Ça a vite très bien marché (aux alentours de 400 entrées par soirée). Sont venus ensuite les “Wampas”, les “Road Runners”, les “Satellites” et les “Dogs” attirant en moyenne 800 spectateurs par concert sur les éditions de 1993 à 1995. Puis, comme cela s’était fait pour le rock, la programmation s’est ouverte au “trad” en 1997 avec la venue de “Mes souliers sont rouges”, en raison d’une demande importante de la part des ateliers de pratiques instrumentales qui s’étaient montés au sein de “L’école de Bourrée”. L’idée est alors devenue d’organiser un concert de musique traditionnelle le vendredi, un concert de rock le samedi et un spectacle autour des danses folkloriques le dimanche après-midi. Depuis, le festival a trouvé son identité, son public, diversifié et familial, ainsi qu’un mode d’organisation particulier ne reposant pratiquement que sur du bénévolat, mise à part la partie technique. Il est aujourd’hui reconnu par les partenaires culturels et financiers grâce notamment au travail d’Hélène Lacassagne, Présidente du Foyer rural de 1996 à 1999, qui a beaucoup contribué à son développement et au renforcement des partenariats avec la FAL, la Mairie et les financeurs.
L’équipe organisatrice est particulièrement jeune. Comment expliquez-vous cette originalité ?
C’est le même principe qu’au festival“Ô les Cœurs” D’un point de vue organisationnel, c’est un festival ouvert. Les “copains des copains” viennent et sont accueillis. Il y a les membres de “L’école de Bourrée” dont la moyenne d’âge est particulièrement jeune (20 ans en moyenne), des amis de ces jeunes, quelques personnes de moins de trente-cinq ans et des recrutements à l’extérieur. C’est à l’image du réseau de musiques actuelles en Corrèze où de jeunes bénévoles, depuis deux ou trois ans – que ce soit à la salle de musique actuelles ou dans les festivals comme “Périscope” et “Ô les Cœurs” – cherchent à donner un coup de main et répondent présents. Cela concerne une dizaine ou une quinzaine de personnes motivées, avec une expérience et des savoir-faire organisationnels. L’organisation est structurée en régies depuis 1998 (montage-démontage, accueil des artistes, intendance, services, hébergement, restauration, bar, plateau), avec des responsables qui ne sont pas forcément du village mais qui s’intègrent assez bien.
En tout, cela regroupe entre 100 et 120 bénévoles sur deux à trois jours, avec une équipe organisationnelle plus resserrée de 5 personnes se répartissant les responsabilités de 8 régies. Pour les conditions techniques, nous travaillons avec une équipe professionnelle toulousaine depuis une dizaine d’années avec qui ça se passe toujours très bien.
Comment définissez-vous aujourd’hui la ligne de programmation ?
Elle est toujours construite sur trois axes : “trad”, “rock” et danses folkloriques. Pour la soirée “trad”, nous étions restés sur une approche plutôt celtique ces dernières années, avec un bal en fin de soirée et un groupe local programmé. À partir de cette année, avec “L’occidentale de Fanfare” et le duo Besson-Jolivet, l’idée est de s’orienter vers d’autres formes de musiques traditionnelles, pas uniquement celtiques, plus novatrices, plus amplifiées et pouvant s’ouvrir aussi vers les musiques du monde. Concernant la soirée “rock”, nous programmons depuis quelques années, après le rock alternatif et le ragga, plutôt du dub, du ska et du rock. Cette année, nous essayons de nous ouvrir à autre chose, en faisant venir “Cheb Balowski”, un groupe espagnol qui cartonne et qui fait du ragga-raï et de la “Patchanga”, musique que Manu Tchao représente assez bien. Ils sont onze sur scène, avec des danseuses. C’est un concert particulièrement énergique et très beau avec Cheb balovski qui chante en arabe, en espagnol et en français. Avec “Jim Murple Memorial” – sans doute le meilleur groupe français de rock steady (forme de Rythm ’n Blues jamaïcain) – de la transe ethnique avec “Kaophonic Tribu” (didgeridoo, djembés, guitares) et le groupe corrézien de dub-psyké “Lambda”, la soirée devrait être assez colorée. Le lendemain, “L’école de Bourrée” accueille “Sarrelouts”, une formation du Dauphiné. L’an dernier, il y avait eu la projection d’un film tourné à Davignac dans les années 1970 en plus du spectacle de danses. Cette année, pour des raisons pratiques, il y aura uniquement un spectacle. À l’avenir, il serait sans doute opportun d’ouvrir encore davantage les thématiques musicales des soirées, afin de mélanger les publics, tout en leur proposant des formes artistiques novatrices et exigeantes.
Quel pari essayez-vous de relever dans le cadre de cette programmation ?
Garder une forme populaire et festive tout en aiguisant les curiosités. L’an dernier avec “Kaly Live Dub”, c’était le cas, c’est une forme de musique très dansante mais aussi assez savante.
L’avenir du festival ?
Le renouvellement des personnes qui participent aux prises de décisions dans l’organisation est un souci pour l’avenir du festival. Même si beaucoup de jeunes sont impliqués, peu s’investissent sur des postes à responsabilité. Il pourrait aussi y avoir davantage de gens locaux, pour reprendre notamment des savoir-faire, construits au cours de vingt ou trente ans d’expérience, et qui risquent de se perdre (par exemple sur des aspects très pratiques de montage). D’autres inquiétudes concernent le retrait de certains financeurs ainsi que l’usure du matériel. Nous louons depuis longtemps un chapiteau assez fonctionnel et peu cher. Si ce dernier n’était plus disponible, nous ne pourrions plus réaliser le festival de la même manière. Par ailleurs, l’idée serait peut-être d’essayer de développer cet évènement en le reliant avec le festival de théâtre jeune public pour les scolaires “Acteurs junior” qui se déroule le mois suivant. Il y a peut-être une cohérence à trouver entre ces deux manifestations. Ce sont des idées à soumettre à l’association. Enfin, est-ce que cette action peut continuer comme cela en faisant autant appel au bénévolat ? L’idée d’un salarié avait été posée. Cela pourrait permettre de structurer un travail plus pérenne et particulièrement nécessaire, autour de l’accueil de la population, de l’éducation musicale et des rencontres artistiques, que le bénévolat, déjà très sollicité, ne peut pas en plus assumer.
Qu’est-ce qu’évoque pour vous cet évènement ?
Un moment festif, populaire et subversif où, au milieu du printemps, la Corrèze renait aux festivals.
Propos recueillis par Dominique Meunier (CRMTL) pour les Nouvelles Musicales, n° 78, avril – juin 2004.
Festival de Davignac (19)
Vendredi 30 avril 21h – 12 Euros
> Duo Besson-Jolivet
> L’Occidentale de Fanfare
> Bal trad’ avec Alchimie
Samedi 1er mai 20h30 – 15 Euros
> Cheb Balowski (Raggaraïrockpatchanga-Barcelone)
> Jim Murple Memorial (Rock Steady)
> Kaophonic Tribu (transe didj’n’bass percus)
> Lamdba (Dub psyké)
Dimanche 2 mai – 15h – gratuit
> L’école de Bourrée de Davignac
> Sarrelouts (Art et traditions du Dauphiné)