Une « nouvelle génération » de musiciens traditionnels

En 1997 et 1998 l’Ensemble des Jeunes du département de Musique Traditionnelle de l’ENM de la Creuse, participait au concours « MUSIC’ADO », et était sélectionné en 1998 pour les Rencontres Finales à Paris, occasion pour ces neuf musiciens (accordéon diatonique, vielle à roue, et cornemuse) de rencontrer des musiciens d’horizons différents mais de même génération. Cet ensemble à effectif variable, issu des cours d’ensemble de l’ENM de la Creuse, dont la moyenne d’âge est de quinze ans, a une activité musicale autonome et régulière dans le cadre d’animations ou de bals traditionnels, pour laquelle il s’est constitué en association. Pour confronter leurs visions de la musique traditionnelle qu’ils pratiquent, et de leur univers musical en général, nous sommes allés à la rencontre de six de ces musiciens : Sarah Petitbon et Claire Médoc, joueuses de cornemuse, Léna Simon, Anne Rivaud et Simon Tricard, accordéonistes diatoniques et Pauline Rivaud, vielleuse, en présence de Jean-Jacques Le Creurer, responsable du département musique traditionnelle de l’ENM de la Creuse. Synthèse d’un entretien qui met à mal certaines idées préconçues…

Les débuts : si le rôle des parents est important, pour certains, des concerts ou des prestations ont servi de déclencheur, comme pour Simon qui a commencé l’accordéon diatonique après avoir assisté à un concert de Marc Perrone qui reste pour lui un modèle, pour Léna qui s’est inscrite « parce qu’à l’école primaire, il y avait un garçon qui jouait de l’accordéon diatonique et que ça (lui) a plu » ou pour Pauline qui a simplement vu « quelqu’un qui faisait de la vielle ». De même le fait d’avoir déjà un proche jouant de la musique traditionnelle aboutit souvent à l’inscription, qu’il s’agisse d’un père et d’une soeur déjà inscrits en accordéon pour Sarah, ou d’une mère vielleuse pour Claire. La plupart s’accordent alors à reconnaître que leur entrée dans la musique traditionnelle s’est faite par hasard et par rencontre et non par une réelle volonté a priori d’entrer dans cette musique.

La musique traditionnelle, en écoutent-ils ?
Loin de n’être que les victimes d’un marché du disque, les jeunes ont recréé leur propre « star system » au sommet duquel culmine Patrick Bouffard, vielleux de la jeune génération, avec lequel les jeunes de l’ENM ont fait un stage en 1998 à Chéniers (23). La rencontre avec les musiciens eux-mêmes décrits par Claire comme « bien plus accessibles que dans les autres musiques » reste de fait le lien le plus tort puisqu’ arrivent ensuite « Les Brayauds » et « Faubourg de Boignard », deux groupes qui animèrent également des stages en Creuse, et « Yole », groupe vendéen qui animera le prochain les 22, 23, et 24 Mai 1999 à Chéniers (23). Viennent ensuite les disques de concert auxquels ils ont assisté, que ce soit le groupe « Trans Europe Diatonique » cité par Simon ou « Tarif de Nuit » par Claire.

Et en dehors ? S’il parait délicat de l’imputer à leur pratique de la musique traditionnelle, force est de constater que les goûts de iras jeunes ne font pas apparaître les chanteurs ou les groupes les plus « tendance » : même si Simon essuie quelques rires lorsqu’il affirme écouter « les vieux chanteurs genre Brassens et Brel », les groupes qui apparaissent le plus souvent sont les « Beatles », Simon and Garfunkel, Bob Marley, ou selon Pauline « des groupes un petit peu de maintenant comme U2 » (sic). Et c’est à mots couverts que Claire prononce le nom de Jean-Jacques Goldman.

Mais Manau, Tarkan, Faudel, les groupes à la mode ? Voilà la question qui déclenche les rires de tout le monde. Il faut l’admettre « la tribu de Dana » ne fait pas recette chez les accordéonistes teenagers, et le groupe Manau aurait même tendance à provoquer une réaction épidermique alors que la musique celtique et bretonne en particulier ne fait paradoxalement pas l’unanimité. Pour le raï, Simon en écoute mais « en faisant le tri ». Pour tous, ‘les groupes qu’on montre à la télé, c’est arrangé » et ce n’est donc pas la musique qu’ils pratiquent. Et Sarah d’aller plus loin « nous, c’est de la musique traditionnelle, eux, c’est plus folklorique ». Le seul crédit qu’on accorde aux rappeurs bretons, c’est selon Claire, qu’au moins les gens savent ce qu’est une cornemuse alors qu’ils ne le savaient pas avant.

Et jouer de la musique traditionnelle, c’est perçu comment ? Apparemment, ils assument bien de jouer cette musique particulière, ils trouvent même les gens de leur âge plutôt tolérants, et Simon d’ajouter qu’au début ils disent « mouais », et puis quand ils écoutent, ils disent que tout compte fait, c’est pas si mal ». Claire trouve que c’est plus facile à assumer après le collège « où on est très moqueur », et que les autres « veulent toujours savoir comment c’est fait, quel bruit ça fait ». Et ils ne tardent pas à avouer que cela permet même de se distinguer, d’exister en étant « la seule personne que l’on connaît qui… ».

Qu’est-ce qui leur plaît dans cette musique-là ? : La première réponse est souvent celle-ci : c’est une musique orale, donc on ne fait pas de solfège. Ils sont également très sensible au fait d’être nombreux, du même âge, à se retrouver régulièrement, ce qui pour Sarah donne « un côté ludique », renforcé selon Léna du fait « que c’est rare qu’il y ait des jeunes qui font de la musique traditionnelle ». Cette dimension de groupe, ils la jugent indispensables à leur pratique même puisqu’ils ne s’imaginent pas jouer comme solistes, ce qui pour Pauline « casserait l’ambiance », et ne souhaitent pas développer de formule en concert, privilégiant le bal. Ils insistent par là sur la dimension de musique à danser, puisque tous suivent les ateliers de danse dispensés dans le cadre de l’ENM, parce qu’ »à partir du moment où on doit faire des bals, il faut savoir danser et que quand on a joué un moment , ça fait du bien d’aller danser » (Claire).

Comment conçoivent-ils leur avenir de musicien traditionnel ? : S’ils ont du mal à se projeter cinq ou dix ans en avant, même s’ils pratiquent pour certains depuis longtemps cette musique, ils ne se voient jamais comme musicien professionnel. Claire, quand elle envisage son avenir professionnel se demande « s’il y a de quoi gagner sa vie comme professionnel, à moins d’être très très bon ». Seule Pauline souhaite « en faire son métier » mais « comme enseignante, pour que les autres continuent de pratiquer cette musique ». Ce qui ne les empêchent pas tous de souhaiter vraiment continuer à jouer, et à se retrouver.

Quels rapports avec d’autres musiciens et d’autres musiques ?
Tous souhaitent développer les passerelles avec d’autres musiciens, à l’instar de ce qu’ils ont connu lors de leurs rencontres « Music’Ado », pendant lesquels d’autres groupes, en particulier de rock leur ont proposé des échanges. Claire regrette ainsi que la rencontre ne se soit pas encore faite, en particulier avec ce groupe du lycée Pierre Bourdan qui aurait voulu intégrer sa cornemuse pour faire du « Dan Ar Braz » qu’elle même ne connaissait pas quand ils lui en ont parlé mais dont elle a acheté le disque depuis. La plupart d’entre eux pratique par ailleurs un autre instrument, comme le saxophone pour Sarah et Simon, ou la flûte traversière pour Anne, voire deux instruments traditionnels (vielle à roue et accordéon diatonique) pour Pauline. Moyen de tracer eux-mêmes ces passerelles avec d’autres musiques, même s’ils trouvent plus facile d’inviter d’autres musiciens à pratiquer leur musique, que d’aller eux « faire du rock avec une cornemuse ». Situation paradoxale quand leurs idoles sont souvent ceux qui ont choisi cette option.

Et le lien avec le collectage,les enregistrements ? : Très vite, ils admettent ne connaître de la musique traditionnelle que ce que leurs enseignants respectifs leur ont retransmis. A Sarah qui explique que les enregistrements de collectage ou historiques sont difficiles à trouver en CD, Simon objecte qu’ils n’en écouteraient vraisemblablement pas davantage s’ils étaient plus accessibles. Claire raconte ainsi sa rencontre avec le collectage « Je me souviens d’une fois où Jean-Jacques Le Creurer nous a fait écouter des airs qu’il avait collectés. Parfois, c’était pas super. Je me souviens d’un vieux qui jouait du violon, il jouait « Abati », je l’aime bien cette bourrée, mais quand je l’ai entendu, j’ai trouvé qu’il la jouait très très faux ». Simon fait alors remarquer que ce qu’il faudrait, c’est des explications qui accompagnent ce genre d’enregistrements. comme en peinture les explications aident à comprendre le tableau. Mais ils restent prêts à faire du collectage, si on les y aide, sans être sûrs toutefois qu’il reste beaucoup de choses à enregistrer…

Propos recueillis par Ricet GALLET (CRMTL) pour les Nouvelles Musicales en Limousin, n° 58, mars-avril 1999.

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