Paul Bordes est né à Chamboulive au début des années vingt du siècle dernier. Pour gagner un peu d’argent, il s’embauche avec l’oncle de sa femme le « Grand Jean » Bretagnolle dans l’une des dernières équipes de scieurs de long qui ont oeuvré dans le pays jusqu’aux alentours des années 1960. Aujourd’hui, il se souvient, avec son ami Louis « Zézé » Doulcet, du temps des scieurs de long.
Ecouter l’extrait tiré de l’Atlas sonore de Seilhac (Cette initiative bénéficie de l’aide de la Communauté européenne dans le cadre du programme LEADER+ )
Transcription de l’extrait sonore
« Où j’ai attaqué, c’est au Malval… au château de Brugère du Malval, avec Margari. Qui c’est qu’il y avait ? … Mon beau-père, il y avait le père de Serge du Peuch et Jean Margari, c’était lui le chef, Jean Margari !
Alors moi, j’étais tout jeune, tu sais, pour faire ce machin-là. Il commence à dire : “Tu vas « blucher » un peu les machins”… Des haches qui étaient comme ça larges !
— Il fallait voir les haches qu’ils avaient, mon pauvre ami !
— Y avait de ces noeuds, et ben attention ! Alors, je commence à « blucher » les billes. Mais c’était dur ! Ben, tu sais — tout jeune — c’était pénible. Alors, après, il me dit “tu vas monter scier un peu, tu es jeune toi, tu vas monter dessus, far lo ressejaire“… Alors, je suis monté dessus !
Alors, cette scie, elle faisait bien au moins dix kilos ! Alors, tu sais, je te montais dessus, mais tu peux pas te tenir comme ça ! Et allez : bradadin, bradadau.
Et tu sais, pendant une heure de temps et ben, quand tu t’arrêtais, oh p… je t’y avais mal aux reins… ! Mais au Malval là-bas, y avait un gros sapin, treize mètres cube qu’il faisait, on l’a coupé, mais il a fallu aller chercher le passe-partout chez Borie. Je ne sais pas s’il faisait deux mètres ou deux mètres cinquante.
— Deux mètres soixante ! mais il fallait y être quatre !
— On y était à six dessus ! Oh mais il coupait rien du tout, c’était moi qui étais le limeur, j’arrangeais ça : Allez, bradadin, bradadau !
Moi, des scieurs de long, je suis le plus jeune de Chamboulive qui ait fait le métier, pour faire le métier pour dire de gagner quelques sous ! C’était pas pour la gloire qu’on faisait, tu sais, on faisait ça avec le « Grand Jean ».
On avait fait à La Vergnolle, on avait fait chez Desaguiller, là-bas, à Pierrefitte. Mais enfin, les scieurs de long, j’en avais quand même fait pas mal, et moi, j’ai continué un peu avec lui.
Comme je te disais tout à l’heure, y en a pas qui étaient plus jeunes que moi qui aient attaqué ce métier-là. Et puis, à Chamboulive, y avait bien cinq, six équipes de scieurs de long. Mais, c’est pareil, à la fin, ils les limaient …quand tu avais fait une bille de trente – c’étaient des sommiers – ça faisait ça dedans [il fait le geste de l’épaisseur] mais, pour remonter la scie et ben il fallait se cramponner ! Alors, si c’était pas bien affûté, un coup de carré dessus, tu faisais le plat et après tu donnais un petit coup de piquant.
Mais ça, c’était tout un art pour affûter les scies.
Après, moi, je les affûtais, ça allait bien mais, au départ, c’était affûté trop pointu ou comme ça, ça allait pas ! Le bois tendre, il fallait que ça coupe – la scie – on disait un pam de carrada dessus et s’il y avait des noeuds, un peu pointu ça faisait que des sauts.
— C’était tout un art, il y avait deux systèmes – mon oncle m’avait dit – de limage.
— Ça dépend si c’est un bois dur, du chêne ou comme ça, ou si c’est un bois tendre, du peuplier ! Moi, je m’étais appris à limer mais comme je dis, c’était le plus sale métier de la vie qu’on puisse avoir fait… que de faire ce métier-là ! Enfin bon… fallait gagner quelques sous, alors tu faisais ça ! Avec le « Grand Jean », on prenait des petits chantiers, y avait cinq, six mètres cube de bois, allez, on allait faire ça ! Mais c’est pénible de faire le scieur : le soir, tu peux pas te déplier tellement t’as mal aux reins. Attention c’est pénible…
— C’était une époque, je me rappelle, nous autres, c’était en trente, on avait fait faire des traverses, tu vois, dans la « Buge »… et ben c’était pareil. Tu avais Jean Margari, t’avais mon oncle de la Brousse – Jean – t’avais Montjanel aussi. T’avais de ces gars, mon pauvre ami, fallait voir les gaillards que c’étaient !
Et ben, quand ils leur portaient la soupe, qu’il faisait beau, ils se mettaient sur une traverse ou une bille, et ben, une soupière de soupe – ici maintenant, on mange pas de soupe – les gars mon vieux, mon Jean Margari : allez, il mangeait la moitié de sa soupe, il avait sa chopine, allez la moitié de la chopine de vin, allez, quand il finissait – il buvait – vous savez, ils mangeaient… parce qu’il fallait qu’ils soient nourris mon pauvre ami…
C’est vrai Paul, l’adresse, y faisait plus que la force : moi je vois chez nous, y avait des billes, ils se mettaient à quatre pour les rouler, tu vois, sur le chevalet. Et après, pour les tourner, ils mettaient un « coupou » qu’ils avaient et avec la tête tu vois, c’était au balanç, parce que les mettre comme ça mon pauvre ami… c’était l’adresse ! Et avec leurs grosses chaînes, tu sais bien, tu l’as plus fait que…
— Oh là, tu parles, nous autres, les grosses billes, c’était avec le manche de la hache, tu la faisais avancer ou reculer quand elle était sur le chevalet, là. Tu passais la hache dessous, tu levais un peu, tu la faisais reculer un peu ou avancer un peu, dans l’autre sens.
— Et quand elles étaient trop longues, je me rappelle, ils mettaient un piquet parce que des fois… et puis, sur le machin, ils mettaient des billes parce que ça aurait basculé !
Et le gars qui était dessus, mon pauvre ami, moi je vois, tu entendais, ziooo ! Tu voyais descendre cette scie !
Ah oui !… et chacun avait ses équipes : Chauzeix…
— Mais moi, je me rappelle, c’était juste après la guerre – Chauzeix oui – mais c’était Margari, il faisait les traverses pour le chemin de fer.
— Et tout le monde travaillait à la main : les routes, regarde, ils avaient fait la route de Pierrefitte à Chamboulive – ils l’avaient ouverte toute à la pioche – c’était Barrière qui était cantonnier, il disait à mon père “Ten, quò i es, an drubit la rota, mas a la piòcha !”
Y avait des chênes, oh mon pauvre ami, ten, vois !… arracher tout ça ! Et ben ten, tout le monde était content, tout le monde travaillait…
— Et oui, il y avait du travail pour tout le monde !
— Même ils demandaient pas d’augmentation ! Ah, il se buvait des canons !
— Mais, nous autres, on avait fait après les forêts de la Gente là, tu as bien vu, là où il y avait eu les maquis, d’ailleurs. On avait fait, je ne sais pas, soixante kilomètres de poteaux de mines. Rappelle-toi ! On gagnait dix francs par jour à peu près…
— Les hivers, mon vieux, tout le monde travaillait. Les gars, y faisaient les poteaux de mines, et y fallait les éplucher…
— E la piala ! »
Par Paul Bordes et Jean Doulcet