Découvrez comment l’accordéon a été acclimaté à diverses musiques, de l’Afrique du Nord à l’Extrême-Orient.
La famille des accordéons, inventée en Europe au XIXe siècle, est rattachée par une filiation peut-être mythique (en tout cas indirecte), aux orgues à bouche de l’extrême-orient et d’Asie du sud-est, qui utilisent depuis des milliers d’années le même principe de l’anche libre.
Développés tout d’abord suivant les principes musicaux européens de l’époque (harmonies tonales, gamme tempérée), les accordéons se sont diffusés dans le monde à travers d’autres cultures musicales, dont certaines (y compris les musiques traditionnelles européennes !) reposaient sur d’autres principes : primauté de la mélodie, musiques monodiques pures ou à bourdons, gammes diverses dont des échelles « non tempérées », etc. Comme dans nos musiques traditionnelles françaises, l’acclimatation de ces nouveaux instruments a balancé entre, d’une part l’adaptation du jeu, voire de l’instrument lui-même, à l’identité musicale locale, et d’autre part, au contraire, la transformation plus ou moins accentuée de la musique locale pour l’adapter à l’instrument. Cela peut aboutir à la disparition totale de certains instruments, styles et répertoires plus anciens, au profit de musiques véhiculées par le nouvel instrument.
Ainsi, on verra que les peuples du Caucase et du Proche-Orient ont souvent recréé l’instrument à leur convenance, adaptant clavier et accordage aux particularités de leurs gammes orientales, tandis qu’en Inde l’accordéon est essentiellement lié à une musique de cinéma, dont les chansons sentimentales peuvent facilement glisser vers une guimauve variétisée, harmonisée à l’occidentale.
Ailleurs en Asie, l’influence russe, avec ses chansons harmonisées par accords, se fait sentir dans la chanson populaire d’une bonne partie de l’Asie centrale, mêlée parfois aux gammes pentatoniques des Mongols ou à celles des peuples turcophones.
En Extrême-Orient, la très grande assimilation des musiques occidentales ne concerne pas seulement la musique classique, mais aussi de façon plus surprenante des styles comme le musette français, interprètés avec talent et maîtrise par nombre d’accordéonistes chinois ou japonais. Au détour de la recherche, on peut quand même trouver des sonorités plus asiatiques.
Ce tour d’horizon à travers quelques vidéos glanées sur youtube, parmi des milliers d’autres, permettra d’entendre différentes techniques de jeu, et notamment comment les accordéonistes orientaux restituent la souplesse des lignes mélodiques des improvisations modales (préludes ou « taksims »). On verra aussi l’accordéon dans son rôle privilégié d’accompagnement du chanteur, ainsi que de la musique à danser bien sûr.
MAGHREB ET MONDE ARABE
L’accordéon (chromatique touches piano) s’est implanté, surtout à partir des années 1960 dans divers styles de chanson populaire en Algérie : la chanson oranaise, le chaâbi, et le raï dans sa première phase de modernisation, où il a constitué, comme ailleurs, une transition entre les instruments traditionnels et les claviers électroniques. On peut trouver facilement des vidéos des stars du raï Cheb Khaled et cheb Mami avec leurs accordéons, ainsi que de l’algérien Toufik Boumellah et du franco-marocain Tarik Lamirat.
•Cheb Khaled et Cheb Mami (Algérie)
•Toufik Boumellah (Algérie)
Le monde arabe a modifié l’accordage de l’accordéon chromatique (et aussi d’ailleurs des claviers électroniques) pour lui permettre de jouer les intonations des gammes proche-orientales, en conservant les couleurs particulières à ces musiques. On pourra ainsi écouter les savoureuses improvisations de quelques solistes, tels le virtuose libanais Elias Lammam.
L’accordéon est notamment très employé en Egypte, dans le style nommé « baladi », où il tient le premier rang, secondé par le saxophone, associés à des instruments orientaux. Cette musique populaire accompagne les prestations improvisées de danseuses professionnelles solistes.
Hassan Abou El Seoud est un des grands noms de l’accordéon « baladi ». Les vidéos suivantes permettent de découvrir d’autres musiciens.
•Elias Lammam et Antoine Lammam (Liban)
•Guy Schalom et The Baladi Blues Ensemble
•Rochdi jedda (Tunisie)
•Farouk Mohammed Hassan (Egypte)
•Hussein Mahallawy (Egypte)
•Farouk Salama (Egypte)
AFRIQUE ORIENTALE
J’ai intégré dans ce voyage musical quelques pays d’Afrique orientale dont la musique se rattache à l’univers de la musique modale. Dans l’île de Zanzibar (Tanzanie), se joue une musique appelée le taarab. Comme son nom l’indique, celle-ci est née d’une forte influence de la musique arabe, notamment de la musique de grand orchestre égyptienne (musiques de films, accompagnement de chanteurs de variétés), elle-même influencée par la musique symphonique occidentale. Les instruments occidentaux et orientaux (violons, violoncelle, ud, qanun, percussions etc) se mêlent dans cette musique, sur des rythmes nonchalants. Dans la vidéo suivante, on peut apercevoir quelques courts instants l’accordéoniste de cet orchestre accompagnant la chanteuse Bi Kidude, monument vivant de ce style.
•Bi Kidude & Culture Musical Club : « Kijiti »
L’Ethiopie possède une riche culture musicale, où ont été préservés des éléments très anciens. On pourra en entendre dans les vidéos suivantes les couleurs modales très particulières, par deux musiciens : Ferew Hilu (ou Frew Hailu), et Hailu Mergia, dans le style du « jazz éthiopien ».
•Ferew Hilu : « Eshururu »
•Frew Hailu : « Eytegnu Nequ »
•Hailu Mergia : « Shemonmuanaye »
Dans le Soudan proche, une vidéo nous permet de découvrir le talent d’accordéoniste du multi-instrumentiste Wafir Sheikh al-Din Gibril, vivant maintenant en Espagne.
•Wafir Sheikh al-Din Gibril
TURQUIE
•Delchad Ahmad et Haki Kilic (turc et kurde syrien)
•Nejat Özgür a popularisé en Turquie le son de l’accordéon azéri.
CAUCASE
Les pays du Caucase, véritable mosaïque linguistique et culturelle d’une grande richesse, ont fait une large place aux accordéons dans leurs traditions. Il en existe plusieurs modèles, dont le nom générique est « garmon », et dont les sonorités et le jeu sont fortement typés. Certains modèles, notamment l’accordéon azéri, utilisé aussi en Turquie et dans les régions azéries d’Iran, sont adaptés aux sonorités orientales. A travers la diversité des musiques, on retrouve un « son caucasien », notamment dans la musique de danse, brillante et virtuose, sur des rythmes obsessionnels et souvent très rapides.
Accordéon arménien :
– Gagik Asatryan
– Gagik Stepanyan
Accordéon géorgien :
– Georgian dudukebi, iasha natenadze 2
– « leqso » et « gia »
– Qeipi axmetashi (est-ce le nom du musicien???)
Accordéon circassien (peuple Adyguéen ou Tcherkesse) :
– Abida ‘Omar
– Abida wumar (1971)
– Ruslan Barcho et Murat Psyblane
– Lisa Hershok
– Ahmad Aiy
– Une séance de chant, musique et danse entre amis :
– Pour finir, une belle chanson dans un style différent, qui me paraît plus proche des musiques russes :
Accordéon azéri :
– Nemet Huseynov
– Gövhər Rzayeva
– Zakir Mirzeyev
Accordéon azeri d’Iran :
– Amalya Şahinqızı
– Vahid Orangi (Accordion) & Rahim Agasi
Divers autres peuples du Caucase :
– Musique Abkhaze
– Musique du Daghestan
– « Аминат Хьо »
– Batraz Tsarahov
– « Сулай »
ASIE CENTRALE ET RUSSIE
Les accordéons ont été véhiculés dans tout l’ex-URSS par l’influence russe, associés à l’accompagnement du chant. Je n’ai pas pris en compte l’ensemble de la musique russe proprement dite, car cela sort du propos de cet article pour rejoindre le domaine musical européen. Je donne quand même un exemple d’accordéon particulier, l’accordéon ou garmon de Saratov (diatonique bisonore, avec un son de clochette en accompagnement).
Garmon de Saratov 1
Garmon de Saratov 2
Voici maintenant quelques exemples d’Asie centrale, où l’influence de la chanson russe se teinte parfois de couleurs plus asiatiques.
Aidar Gabdinov (chanson tatare)
Аксылык Акардион менен Куку Кайнаров
Аксылык Бокендин аткаруусунда (Кульпильдама)Акардион
« romance à la russe » :
Chanson tatar :
Amyr Akchin : « Khan-Altai »
Mongolie Centrale :
Tadjikistan
– Abdoul Khaleq Sufiev
– Abdukholiq Sufiev (le même musicien, orthographié autrement)
– Aqnazar Halovat
INDE, PAKISTAN, AFGHANISTAN
Dans le domaine indien, l’introduction de l’accordéon a été préparée par celle plus ancienne de l’harmonium. Celui-ci a été adapté pour prendre la forme d’un instrument spécifique, portatif, propre à l’auto-accompagnement d’un chanteur, et donnant les bourdons qui sont la base fondamentale de la musique indienne. L’harmonium s’est ainsi répandu, notamment dans l’accompagnement de chants dévotionnels hindous et des chants mystiques des confréries soufies du Pakistan, remplaçant des instruments à cordes plus anciens.
L’accordéon est, quand à lui, resté très lié aux musiques de film, et aux chansons sentimentales accompagnant immanquablement le cinéma populaire de « Bollywood ». Cette musique au caractère assez commercial, introduit beaucoup d’influences occidentales (gamme tempérée, harmonisations, orchestres et arrangements). Même dans les versions jouées par des solistes ou des ensembles acoustiques plus petits, l’utilisation d’une harmonisation occidentale par accords donne une couleur musicale qui évoque peu la culture indienne, mais que l’on peut confondre avec d’autres musiques « tropicales » (ce qui ne les empêche pas de pouvoir être agréables à l’écoute).
En revanche, la musique plus modale du chanteur afghan Akbar Ramesh, que l’on pourra entendre ici, reste dans l’univers de la musique à bourdons, et évoque l’utilisation de l’instrument que nous avons rencontrée dans la musique arabe.
Ghulam Abbas : « Toote Hue Khwabon Ne Humko Yeh Sikhaaya Hai » (Pakistan)
Aey Meray Dil Kahein Aur Chal (Inde)
Kankan Dasgupta : « Dil apna aur preet parayi » (Inde)
Akbar Ramesh : « Shereen Omr » (Afghanistan)
Akbar Ramesh : « Man Ninawazam » (Afghanistan)
EXTRÊME-ORIENT ET ASIE DU SUD-EST
En Extrême-Orient (d’après les vidéos que j’ai pu voir), l’instrument me semble surtout pratiqué dans le cadre de musiques occidentales, d’ailleurs pratiquées avec brio et beaucoup de virtuosité par de nombreux musiciens chinois, japonais ou coréens . Ainsi les répertoires de musique classique, de musiques de film, des reprises de pop-music, mais aussi, de façon assez surprenante, beaucoup de répertoire musette français et de tangos argentins. Certaines musiques ont néanmoins un parfum plus oriental, par l’usage de gammes pentatoniques immédiatement reconnaissables, et avec parfois des réminiscences du jeu des orgues à bouche (sheng Chinois, sho Japonais,…).
« Prune blanche de Yushima » (Japon)
« North Korean Boy Playing Accordion » (Corée)
« Arirang » (chanson populaire ancienne, Corée)
Musique de l’opéra moderne de Pékin (Chine)
เตี๋ยว แอคคอร์เดียน ยิ้มแป้น – พจน์ พนาวัน บรรเลงแอคคอร์เดีย (Thaïlande)
ลุงร้านซ่อมรถเล่นแอคคอร์เดี้ยน (Thaïlande)
Les musiques Indonésiennes sont extrêmement variées, riches d’une mosaïque de peuples, d’îles et de cultures. Ici aussi, l’accordéon signe souvent l’influence des musiques légères occidentales, chansons de variétés, musiques de cinéma et de dancings. On peut aussi noter parfois l’influence de la musique arabe, venue avec la diffusion de l’islam.
Wafiq Azizah et Ayah HM Amin (Indonésie)
Bang Din (Indonésie)
« Aladom » (Malaisie)
Groupe Alun Tradisi : « Pantun Budi » (Malaisie)