Rappel du sommaire général
1ère partie à lire ici : Première famille de modes : autour du mode de DO (1/2)
- Évolution biologique des modes majeurs
- Liste de modes « autour du mode majeur »
- Les noyaux durs du mode majeur
- 1-1) Mode majeur court : 1 2 3 4 5 (majeur – 6 -7)
- 1-2) Mode franc : 567123 (majeur – 4)
- Deux modes riches en variantes
- 1-3) Mode courant et ses variantes
- 1-4) Mode chantant et ses variantes
2de partie à lire ci-dessous
- Quelques modes défectifs hauts en couleurs
- 1-5) Mode cor de chasse adouci : 5 – – 1 2 3 4 5
- 1-6) Mode printanier
- 1-7) Mode majeur plagal sans 4e degré : 5 6 7 1 2 3 – 5
- 1-8) Mode montagnard : 5 – 7 1 2 3 4
- 1-9) Mode lumineux et variantes
- L’arbre qui cache la forêt, ou le mode majeur non majoritaire
- 1-10) Mode gai (ou mode de Do authente): 1 2 3 4 5 6 7 1
- Nuances d’intervalles sur les modes majeurs
- 1-11) Mode majeur doux
- 1-12) Mode majeur plagal sur bourdon du cinquième degré
- 1-13) Mode majeur brillant (ou majeur de Perrier)
Quelques modes défectifs hauts en couleurs
1-5) MODE COR DE CHASSE ADOUCI :
5 – – 1 2 3 4 5
On a ici un mode assez défectif (deux degrés, le sixième et le septième, ne sont pas employés) correspondant à la suite de degrés jouables sur une trompe de chasse, qui donne un caractère commun à tout le répertoire de cet instrument. Il se trouve que cette configuration est aussi assez répandue dans les répertoires traditionnels : on pourrait sans doute relever des influences directes, certaines mélodies étant directement issues de aux sonneries de trompe, mais bien d’autres airs relèvent de la même construction. Je le nomme ici « adouci », car je le considère pour le moment dans des intervalles courants de tons et demi-tons. La couleur modale réelle des trompes de chasse, proche de certains modes utilisés par les violoneux, implique des notes moins habituelles. Je décrirai donc plus loin, dans une famille de modes particuliers, le « mode cor de chasse » proprement dit, qui aura la même structure de degrés que sa version adoucie, mais des intervalles différents.
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échelle du mode (ici en tonalité de SOL)
exemple improvisé
exemple mélodique : En passant par le bois
Exemple mélodique : La chançon de Janeta
Exemple mélodique : Aval dins lo Lemosin
1-6) MODE PRINTANIER
Je propose ce nom pour un mode apparenté au mode chantant par l’absence du septième degré, mais dont la configuration différente fait apparaître des tournures pentatoniques qui lui donnent une couleur particulière. En effet, le début du mode : 5 6 – 1 2 3 constitue une échelle pentatonique.
Cependant, l’examen comparé de l’ensemble des mélodies que je réunis dans ce mode (d’après mon corpus mélodique actuel, qui reste toujours à enrichir), montre que le mouvement mélodique 5 6 1 n’est pas employé : si on l’introduit dans une improvisation, sent immédiatement que l’on bascule dans une couleur plutôt irlandaise, en tout cas absente des répertoires du Massif Central. Si l’on veut respecter une spécificité modale, on peut donc éviter d’utiliser ce mouvement, et utiliser par exemple plutôt 5 6 5 1.
Je nomme « printanier triste » une couleur donnée par certaines mélodies, caractérisées par un appui important sur le sixième degré, parfois accentué par l’absence du cinquième degré dans le grave. Cela donne un climat moins joyeux à cette sous-famille d’airs.
1-6a) Mode printanier :5 6 – 1 2 3 4 (5)
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exemple improvisé
exemple mélodique : Aval dins la combela
exemple mélodique : Un jeune militaire
exemple mélodique : De bon matin se leva
1-6b) Mode printanier triste :5 6 – 1 2 3 4 (5) ou 6 – 1 2 3 4 (5)
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exemple improvisé
exemple mélodique : La clara fontena
exemple mélodique : Le matin je me lève
exemple mélodique : Réveillez mes enfants
1-7) MODE MAJEUR PLAGAL SANS 4° DEGRÉ :5 6 7 1 2 3 – 5
Voilà un autre mode où l’absence d’un degré formant demi-ton avec un autre donne une impression de « fraîcheur ». Ici c’est le quatrième degré qui n’est pas utilisé, ce qui introduit des tournures pentatoniques dans certains passages de la mélodie. Dans certaines mélodies, notamment ici « Quand le galant », on peut le considérer comme un « mode franc » (567123), étendu occasionnellement par le redoublement à l’octave aigüe du cinquième degré.
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exemple improvisé
exemple mélodique : Anem al bosc
exemple mélodique : Belle brunette
exemple mélodique : Quand le galant
1-8) MODE MONTAGNARD : 5 – 7 1 2 3 4
Encore un mode défectif, cette fois c’est le sixième degré qui est absent, ainsi que le cinquième dans l’aigu. Certains mouvements mélodiques viennent compléter la définition de ce mode : on n’utilise pas le mouvement ascendant 571, mais on passe directement de 5 à 1 (le 7 ne se trouve que se trouve dans les mouvements 1 7 1 et la descente 1 7 5) ; de même, on n’a pas la montée directe du 3 au 4, mais on arrive au 4 en passant par le 2 (en revanche le mouvement descendant 4 3 est utilisé).
Les quelques mélodies qui ont cette configuration, peu nombreuses, me paraissent pourtant partager un caractère très fort, que l’on peut sentir plus largement dans des passages d’autres mélodies, et qui pour mon oreille est tout à fait emblématique de la musique du Massif Central. Cette couleur est pour moi fortement évocatrice de chants de plein air et de pleine voix, je l’ai donc nommée « mode montagnard », ce qui n’est pas à prendre au pied de la lettre.
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exemple improvisé
exemple mélodique : Janeta
exemple mélodique : La velhada
exemple mélodique : Los garçons d’a Neuviala
1-9) MODE LUMINEUX ET VARIANTES (Majeur – 4 – 6 – 7)
1-9a) Mode lumineux : 5 – – 1 2 3 – 5
Voici un mode très défectif, que l’on peut (dans un sens large) qualifier de tétratonique (quatre degrés différents par octave) : les degrés 4, 6 et 7 n’y sont pas employés. Bien sûr, la couleur en est très particulière, poussant à l’extrême l’impression de limpidité, de lumière de certains modes précédents. Les mélodies dans cette configuration sont peu nombreuses mais très typées. Ce mode, par ses limites et son originalité, me paraît intéressant à expérimenter.
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exemple improvisé
exemple mélodique : Réveille réveillez-vous
exemple mélodique : Sur le pont de Nantes
exemple mélodique : Adieu les filles de Lagraulière
1-9b) Mode lumineux court 1 : 1 2 3 – 5
Voici maintenant une forme encore plus défective (et rare), sur quatre degrés
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exemple mélodique : Si j’étais roi
exemple mélodique : Je viens de Paris
exemple mélodique : Sur quatre notes
1-9c) Mode lumineux court 2 : 5 – – 1 2 3
Une seconde forme sur quatre degrés, un peu plus fréquente que la précédente. Le sentiment de limpidité, de lumière, est moins fort que dans les deux formes précédentes, mais je les réunis quand même comme sous-modes du mode lumineux, à défaut de trouver un meilleur nom, et aussi en raison de leur rareté.
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exemple improvisé
exemple mélodique : Nous sommes venus vous voir
exemple mélodique : Ont anatz paubre òme
exemple mélodique : La menteuse
L’arbre qui cache la forêt, ou le mode majeur non majoritaire
1-10) MODE GAI (ou mode de Do authente) : 1 2 3 4 5 6 7 1
Ce mode nous est extrêmement familier, mémorisé dès l’enfance avec les paroles « Do ré mi fa sol la si do Gratte-moi la puce que j’ai dans le dos ». C’est le mode majeur, ou mode de Do, sous sa forme authente. Pourtant, il est très loin d’être majoritaire dans nos répertoires traditionnels, où les formes plagales et défectives sont bien plus courantes. C’est pourquoi son climat est reconnaissable : je lui donne un nom, « mode gai », qui correspond à l’impression (très différente de celle du mode plagal) que me font les quelques mélodies qui l’utilisent.
Étant à la base de la musique tonale, ce mode « ne sonne pas très modal » à nos oreilles, car il n’est pas assez exotique. Pourtant il est connu et utilisé depuis longtemps dans différentes musiques orientales, maghrébines etc., sans aucune arrière-pensée d’harmonie occidentale. Il est vrai qu’on peut facilement harmoniser dans le système tonal tous les exemples pris dans le répertoire traditionnel que je vais en donner (et certaines en sont sans aucun doute issues). Cependant, je prends le parti de considérer ici uniquement leur aspect mélodique, et de mettre de côté toute interprétation tonale, en privilégiant le jeu monodique pur ou sur bourdon. Cela rejoint la pratique des interprètes traditionnels de la plupart des régions de France, où la polyphonie n’était que très localisée à certaines régions de montagne (Pyrénées, Alpes). Nous pourrons ainsi « réintégrer » ce mode à la musique modale, pour sa couleur mélodique propre.
L’étendue de ce mode est comprise entre la tonique et son octave supérieure. Il me semble qu’elle peut intégrer une note au-dessous (degré 7) et une ou deux au-dessus (degrés 2 et 3, comme dans « La Planette ») sans changer beaucoup le climat général (ces notes sont déjà présentes exprimées à une autre octave).
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exemple improvisé
exemple mélodique : Belle Françoise
exemple mélodique : La Sarrandona
exemple mélodique : La planette version Ségurel
exemple mélodique : Garçons de mon village
Nuances d’intervalles sur les modes majeurs
Toutes les configurations modales vues précédemment ont été décrites sous une forme inscrite dans une échelle de tons et de demi-tons, sans autre précision. En réalité, des nuances sont possibles et même souhaitables si on veut que ces modes sonnent plus richement.
Par exemple, sur un bourdon, certains degrés de l’échelle doivent être un peu plus hauts ou plus bas que dans la gamme à tempérament égal qui sert de référence théorique dans le monde occidental. C’est à cette condition qu’ils peuvent pleinement sonner « dans le bourdon », c’est-à-dire que leurs vibrations sont en harmonie avec celles du bourdon qui est joué simultanément. Il ne s’agit pas ici de « fausser » des sons, mais plutôt de retrouver une justesse plus fine, que nos oreilles ont parfois oubliée.
Quand on change de bourdon, ce qui est possible dans nos musiques, la référence change, ce qui affecte certains degrés. Par exemple, on peut jouer des mélodies en tonalité de RE aussi bien sur une cornemuse en RE-SOL (type 20 pouces, chabrette en RE…) que sur une cornemuse en LA-RE (type 14 pouces, chabrette en LA…). Dans le premier cas, le bourdon est RE, c’est-à-dire sur la tonique (premier degré) ; dans le second le bourdon est LA, c’est-à-dire sur le cinquième degré. Les différentes notes qui composent l’échelle forment un intervalle différent avec chacun de ces deux bourdons : pour sonner dans le bourdon, certains degrés restent à la même place dans les deux cas, mais le sixième degré (en l’occurrence, en tonalité de Ré il s’agit du Si) prendra une nuance de hauteur différente.
Note | Degré | Intervalle avec un bourdon de tonique | Nuance |
---|---|---|---|
RE | 1 | unisson | |
MI | 2 | seconde majeure | + |
FA# | 3 | tierce majeure | – |
SOL | 4 | quarte juste | – |
LA | 5 | quinte juste | + |
SI | 6 | sixte majeure | – |
DO# | 7 | septième majeure | – |
Note | Degré | Intervalle avec un bourdon de 5e degré | Nuance |
---|---|---|---|
RE | 1 | quarte juste | |
MI | 2 | quinte juste | + |
FA# | 3 | sixte majeure | – |
SOL | 4 | septième majeure | – |
LA | 5 | octave | |
SI | 6 | neuvième majeure (octaviement de la seconde majeure) | + |
DO# | 7 | dixième majeure (octaviement de la tierce majeure) | – |
Cela peut poser des problèmes de justesse aux musiciens : si une cornemuse en Ré et une cornemuse en La , toutes deux parfaitement accordées sur leurs bourdons, jouent ensemble, leurs Si respectifs ne seront pas exactement les mêmes. Dans la pratique, les musiciens peuvent gommer ces divergences en « brouillant » le son à cet endroit par un vibré ou un ornement, ou alors l’un d’eux tâchera de rejoindre la note de l’autre par une variation de pression sur la poche. Ces différences de hauteurs peuvent paraître minimes, mais elles colorent énormément la musique par le jeu du renforcement des sons les uns par les autres quand ils entrent dans des rapports de résonance naturelle.
Je donne ici au violon ces deux versions d’un mode majeur « courant complet » (plagal), l’une avec un bourdon sur le 1er degré et l’autre sur le 5e degré, et avec toutes les notes « dans le bourdon ».
1-11) MODE MAJEUR DOUX
Écouter l’échelle du mode courant complet sur bourdon I
(tonalité Ré) :
Rappel des nuances de hauteur par rapport à une gamme tempérée (le signe + ou – ne représente pas un écart toujours identique, l’écart avec les notes tempérées diffère selon les intervalles) :
1, 2+, 3-, 4-, 5+, 6-, 7-,
Ce qui donne ici, par rapport à un Ré donné au départ comme référence :
La(5)+, Si(6)-, Do#(7)-, Ré(1), Mi(2)+, Fa#(3)-, Sol(4)-, La(5)+, Si(6)-
1-12) MODE MAJEUR PLAGAL SUR BOURDON DU CINQUIÈME DEGRÉ
Ecouter l’échelle du mode courant complet sur bourdon V
(tonalité Ré)
Rappel des nuances nuances de hauteur par rapport à une gamme tempérée :
1, 2+, 3-, 4-, 5+, 6+, 7-
Ce qui donne ici, par rapport à un Ré donné au départ comme référence :
La(5)+, Si(6)+, Do#(7)-, Ré(1), Mi(2)+, Fa#(3)-, Sol(4)-, La(5)+, Si(6)+
1-13) MODE MAJEUR BRILLANT (ou majeur de Perrier)
Mais ceci est loin d’épuiser les possibilités. En effet, on peut choisir de donner à un degré donné une nuance de hauteur qui le mettra en résonance, non plus avec le I ou le V, mais avec un autre degré avec lequel la construction de la mélodie le mettra en rapport fréquent ou marqué.
Par exemple, il est fréquent chez les violoneux français d’entendre un quatrième degré un peu haut (en tonalité de Ré, il s’agit du Sol, joué avec le deuxième doigt sur la corde de Mi), ce qui lui donne une couleur plus brillante que le Sol bas qui serait dans le bourdon (que ce bourdon soit sur I ou sur V). Cette note, en légère friction avec les bourdons de Ré (1er degré) et La (5e degré) joués par intermittence sur les cordes à vide du violon, est par contre en rapport de consonance parfaite avec le Mi (2e degré), avec lequel il forme un intervalle de tierce mineure naturelle (plus large que la tierce mineure tempérée).
Ce Mi, bien que n’étant pas potentiellement un bourdon constant, est quand même un élément essentiel dans la structure sonore de cette musique de violon : il est placé également en corde à vide, ce qui le fait fortement participer à la résonance, et il s’agit d’un degré très important par son rôle mélodique, comme repos suspensif et comme note fréquente. On peut le considérer comme un degré essentiel dans la construction de nos mélodies traditionnelles, où il n’est presque jamais omis. Le quatrième degré est souvent associé étroitement au second dans les mouvements mélodiques, ce Sol un peu haut est donc tout à fait justifié musicalement.
On retrouve d’ailleurs cela dans la cabrette, où la note équivalente (correspondant au doigté de Fa sur un pied en Do) est souvent assez haute. Cela peut gêner les oreilles novices, mais donne une musicalité tout à fait cohérente dans le cas du répertoire traditionnel, avec un intervalle Ré-Fa large correspondant à une tierce mineure juste selon la résonance.
J’appelle ce mode « mode majeur de Perrier », car il est pour moi associé au son brillant de ce violoneux (Joseph Perrier, de Champs-sur-Tarentaine dans le Nord du Cantal, sur le plateau de l’Artense). Mais au-delà de cet hommage particulier, il me semble que ce mode majeur coloré par un quatrième degré haut est très courant chez les chanteurs et instrumentistes traditionnels, au moins du Massif Central.
Ecouter l’échelle du mode majeur de Perrier (tonalité Ré) :
Rappel des nuances : I II+ III- IV+ V+ VI- VII-
Ecouter une petite improvisation dans le mode majeur de Perrier :
Ces nuances de hauteur, et d’autres encore, peuvent servir à colorer plus précisément chacun des modes décrits précédemment, ce qui contribuera à les différencier encore.
Je donnerai plus loin des possibilités différentes, dans une nouvelle famille de modes contenant une autre sorte d’intervalles non tempérés.