Un cadre historique, patrimonial et artistique fédérateur
Le Massif Central, une cathédrale des imaginaires.
De tout temps, le Massif Central est apparu comme un « recours », un espace réservoir d’énergies humaines et minérales.
Aujourd’hui encore, considéré comme le château d’eau de la France, les sommets du Puy Mary, du Mt Beuvray, des Monédières ou de la montagne du Mézenc et les paysages qui s’étalent à leur pied, cristallisent de façon saisissante l’histoire des hommes et de leur culture.
Territoire d’emphase, pays de légende parcourus par le vent, la neige et les éléments, le Massif Central est aussi un lieu de voyage façonné des migrations internes qui l’on fait vivre :
Galvachers et « toucheurs » morvandiaux poussant leurs bœufs au loin, maçons et tailleurs de pierre marchois égrenant leur route jusqu’à Lyon, porteurs d’eau et bistrotiers de la châtaigneraie cantalienne et de l’Aubrac, aveyronnais et lozérien parties pour conquérir Paris, mineurs vellaves descendus dans les mines de La Ricamarie et de St Etienne, scieurs de long corréziens ou foréziens sur les chemins des Landes, faucheurs du Lot et de la Margeride convergeant vers les montagnes du Cantal, musiciens mendiants du Livradois répandant partout, au gré de leurs pérégrinations, l’image générique de l’auvergnat musicien …
Eux et bien d’autres ont contribué à répandre la chanson de geste des pays du Massif Central, mythologies entretenues de façon récurrente par les « originaires » resserrés autour des valeurs et des objets du pays natal, de retour cycliquement « au pays » pour renforcer les images éternelles des territoires fantasmés.
Une lente érosion des identités…
Jusqu’aux alentours de la seconde guerre mondiale, tous ces pays et identités colorées du Massif Central vont vivre dans cet espace de culture partagée de façon relativement autonome, au cœur d’une économie régionale où, Michelin affiche la vielle à roue, symbole identitaire des travailleurs des Combrailles descendus travailler chez lui à Clermont Ferrand, « la Manu » à Tulle résonne des lames d’accordéon de la firme Maugein voisine quand les « chants de la soie » sont toujours partagés dans les filatures du Haut-Vivarais…
Dans ces territoires d’agriculture prééminente, le rapport aux cultures endogènes est facilité, entretenu par les rythmes calendaires, les travaux saisonniers et l’attachement au sol natal, viscéralement incarné dans les mentalités.
Cette économie, après l’hécatombe de la guerre de 14 qui touche de plein fouet la société du Massif Central par la pénurie humaine qui va suivre, va lentement se tasser en continuant à vivre jusqu’aux alentours des années 1960.
Dès lors, l’économie rurale qui avait prévalu va être érodée, d’abord marginalement puis de façon beaucoup plus structurelle, emportant vers la ville voisine l’activité humaine mais aussi les imaginaires identitaires, via la jeunesse, vers les métropoles universitaires, riveraines dans le meilleur des cas ou souvent plus lointaines.
Le mouvement des originaires dont le retour cyclique est un des moteurs de l’identité depuis — pour ce qu’on en connaît — le milieu du XIXe siècle, va progressivement s’affranchir de tout retour au pays. Dès lors, les objets marqueurs de l’identité, langues, musiques et danses vont pour partie se replier dans des versions de plus en plus « folkloriques », touchant un public vieillissant, resserrés désormais autour de populations de plus en plus enclavées, symboles négatifs d’une culture repoussoir de jeunesse et de vitalité.
C’est avec Jean Ségurel, l’inoxydable accordéoniste corrézien aux « dix millions de disques » champion au cœur des années 70 des bals et fêtes du Massif Central que s’introduit dans la société villageoise le bal des jeunes, sur fond de contre-culture rock et qui scelle la coupure avec le monde de la jeunesse happé désormais vers un voyage, semble-t-il, sans retour vers de plus urbains imaginaires.
Un retour aux sources du Plateau
En 1968 pourtant, la France vacille alors sur ses bases et s’interroge sur son inéluctable urbaine hémiplégie : certains retournent alors « vivre-au-pays » quand d’autres – qui n’en n’ont pas – s’en fabriquent un, à coups de « néo-ruralité » et de communautaire salut.
Le ‘protest-song’ culturel qui accompagne cette quête va progressivement s’affranchir du folk américain pour les mesures incertaines de la bourrée d’Auvergne ou du Morvan et les premiers émois de la cabrette en peau de chèvre.
Mais les Monts d’Auvergne et du Limousin, les steppes immenses des plateaux ardéchois, les sombres forêts morvandelles ou les plateaux du Ségala sont alors de bien rudes pays où la société agricole villageoise ne laisse pas encore entrevoir de doutes existentiels : n’y accède pas qui veut.
La science ethnomusicologique officielle est aux abonnés absents, « le folklore » s’inquiète peu du temps qui passe, d’autres énergies vont se mettre en oeuvre…
La découverte de cette « Amazonie » en plein cœur de la France, de cette « Atlantide rattrapée par les cheveux » selon le mot d’un de ses premiers « explorateurs », est un choc pour ceux qui, passé le premier émoi, vont s’enfoncer sur les chemins jusqu’aux extrêmes confins du territoire et des mémoires de ceux qui y habitent.
Pendant près de vingt années jusqu’au tout début du présent millénaire, le pays sera sillonné et les matériaux musicaux, dansés, parlés, vont être enregistrés et bien souvent immédiatement réappropriés.
Une effervescence artistique et identitaire va, dans le même temps, gagner tous les lieux du plateau, revisiter les objets artistiques vieillissants du folklore pour s’incarner dans une volonté et une fierté culturelles.
Un présent à réévaluer et des horizons de développement à reformuler
Aujourd’hui, beaucoup d’institutions, projets, festivals, publications, groupes artistiques et associations ont vu le jour, un énorme travail a été accompli et continue de l’être au quotidien, mais la société historique qui avait été le cœur et l’objet de cette réappropriation est morte ou agonisante.
L’idée même qui avait présidé au sursaut historique, « remettons en œuvre notre culture au milieu de ceux qui en sont les derniers détenteurs », a vécu.
Dans le même temps, une partie du territoire du Massif Central, le plus symbolique au niveau de l’espace pour ces cultures identitaires, globalement l’espace rural central, est aujourd’hui dans une économie et une démographie plus que chancelantes.
La plupart des lieux de réappropriation ont sensiblement migré de ces espaces historiques vers les lieux de pratiques urbains des chefs-lieux départementaux et des capitales régionales, à l’identique des mouvements de populations et évolutions économiques du Massif Central.
Face à cette situation nous nous devons de reconsidérer les matériaux issus de ces cultures, de trouver les moyens adaptés pour que chaque individu implanté sur ces territoires puisse s’en emparer et fabriquer des perspectives d’avenir et de nouveaux langages artistiques.
Une identité à reconquérir ou à recréer
Cette évolution récente, dont les indicateurs pessimistes pourraient laisser présager une disparition à moyen terme de toute population sur le plateau central et de la culture historique qui la constitue, mérite d’être appréciée finement.
Le processus de décentralisation et de régionalisation depuis trente années qui a commencé à prendre en compte l’existence de ces cultures et identités n’a pas pu éviter, pour partie, une forme de centralité et de concentration de l’économie, de la démographie et — de manière mécanique — de la culture vers les capitales régionales. Dans cette configuration, la sensation de territoires abandonnés, sous-équipés culturellement, n’a pas réussi à fonder de contrepoids identitaire suffisant pour sublimer cet état de fait.
Par ailleurs, de nouveaux arrivants investissent depuis plus de vingt ans le territoire désaffecté pour jouir de l’espace naturel et de la qualité de vie qui en découle et pour eux la volonté de culture et d’identités partagées sont de première importance.
Enfin malgré tous les efforts faits depuis une vingtaine d’années, (formations, publications, événementiels publics), la réappropriation de ces cultures et identités restent à l’heure actuelle encore en devenir, l’essence de ces pratiques musicales, chorégraphiques, parlées, contées est encore mal connue, y compris — et parfois principalement — des populations de ces territoires historiques.
A l’identique des musiques traditionnelles inventées durant la charnière des années 70-80 l’identité de ces territoires doit être refaçonnée pour que les générations à venir réussissent à projeter leurs visions du monde sur un espace où leurs imaginaires puissent se cristalliser.
Pour que ce processus s’engraine nous devons agir bien au-delà du seul secteur qu’est la culture et tout mettre en œuvre pour atteindre l’ensemble des populations concernées. Cet avenir ne pourra passer que par un travail sur le temps long auprès des plus jeunes.
Cette culture à transmettre et à acquérir sera – nous en avons la conviction – un des principaux moteurs pour inverser les courbes désespérantes de la démographie, un levier pour l’invention et le développement des différents territoires du Massif-central.
Quant aux projets transversaux, utilisant des éléments des cultures locales dans le cadre des créations artistiques ils seront des relais indispensables à l’évolution des mentalités des personnes occupant ces territoires et une ouverture pour l’acceptation et la compréhension de l’indispensable besoin de nouveaux arrivants.
Des solidarités réaffirmées
Dans la plupart des projets concernant le développement culturel du Massif Central, l’identité commune à tous ces territoires est souvent convoquée et revendiquée mais les moyens matériels qui pourraient y pourvoir sont rarement réunis.
Une géographie étendue et contraignante, des territoires relativement enclavés, la complexité administrative de six régions gérant ce territoire en sont autant de freins qui viennent contraindre et cloisonner de telles entreprises
Pour autant, depuis plus de trente ans, la plupart des acteurs, associations et institutions, à cause précisément des liens identitaires et d’imaginaires artistiques partagés autour de ces cultures, sont dans l’interconnaissance et la complémentarité de savoir-faire et d’expertises propices au développement d’un projet commun. Ils ont enfin virtuellement continué à entretenir l’espace Massif Central comme socle d’imaginaires artistiques revendiqués, tels les événements transrégionaux (fêtes du violon, fêtes de la vielle…) où les pratiques artistiques ne se sont jamais incarnées dans des géographies administratives.
La nécessité de travailler ensemble, dans les contextes de précarité qui sont présents sur ce territoire, autant que la richesse des expériences multiples qui ont toujours caractérisé les approches particulières de chacun des acteurs sur des espaces singuliers, sont le gage de solidarités réaffirmées qui leur font souhaiter ce projet commun.
Sur le territoire du plateau, les actions de l’ensemble des acteurs ont permis de mettre en place, au fil des ans, un certain nombre d’outils et de cadres de travail dont la mutualisation et la mise en réseaux dans le cadre de projets et d’objets communs permettront de donner à l’espace Massif Central la place référente qui, aujourd’hui, rend pour partie illisible ce qui se passe sur chacun des territoires.
Cette nécessité et cette volonté de travailler ensemble doit passer par une analyse des acquis réalisés depuis plus de 20 ans et un renouvellement des concepts qui ont prévalues à nos démarches.
Il semble relativement urgent de sortir du microcosme que représente notre secteur pour nous associer aux enjeux qui nous entourent et pour lesquels nous avons un rôle à jouer.
Nous devons donc nous interroger et nous positionner sur les notions d’aménagement du territoire, de développement durable et voir comment mettre en œuvre le triptique indispensable de l’efficacité de toute volonté d’agir sur le monde c’est-à-dire : Culture-Economie-Politique
Pour cela il nous faudra passer inévitablement par une reformulation de nos démarches et une articulation entre des concepts à partager et des actions à projeter en résonnance avec ces nouvelles intentions à défricher.
CRMT Limousin – AMTA