« Le soir au fond des bois… » Cors et trompes naturelles à travers le monde et l’histoire
Introduction
Les cors et trompes (dits « instruments à embouchure ») s’enracinent sans doute dans le passé le plus ancien de la culture humaine. Ces deux grands types organologiques se différencient par leur perce (forme de la cavité intérieure) : conique pour les cors, cylindrique pour les trompes et trompettes, même si de nombreux instruments à travers le monde combinent ces deux formes de différentes façons, par exemple avec un pavillon amplifiant le son. Le mode de production du son est le même : les lèvres du musicien, appuyées sur une ouverture de l’instrument, vibrent sous la pression de l’air expiré, et mettent celui-ci en vibration (on parle d’« anche membraneuse »). L’embouchure peut être terminale ou latérale (trompes traversières).
Dès la préhistoire, l’homme a pu ainsi découvrir les capacités sonores de diverses cavités naturelles : cornes et os d’animaux, coquillages (conques), tubes végétaux (bambous et roseaux, bois évidé naturellement), etc. Puis au Néolithique, et avec la découverte des métaux, ces formes naturelles ont été reproduites et développées au moyen de nouvelles techniques : terre cuite, tubes métalliques façonnés, dont des exemplaires se sont conservés et ont été découverts par l’archéologie. On connaît aussi, par les traditions populaires ou ethniques, des instruments où ces formes de cônes ou de cylindres sont façonnées dans des matériaux naturels plus périssables (instruments sculptés dans le bois ou faits d’une bande d’écorce enroulée sur elle-même).
On peut qualifier tous ces cors et trompes de « naturels » dans le sens où ils ne comportent pas de dispositifs ajoutés (tels que des trous, coulisses ou pistons) pour modifier les hauteurs de sons, au contraire d’instruments relativement plus récents tels que les cornets à bouquin, trompettes et cornets à pistons, trombones à coulisse etc. Ainsi, ils ont des possibilités sonores bien particulières, définies par des lois acoustiques : un tube donnera toujours la même série de sons (la « série harmonique »), obtenus en soufflant de plus en plus fort et en renforçant en même temps la tension des lèvres. Certains instruments, courts, larges ou très coniques, ne pourront émettre qu’un seul son, le premier de la série (le son fondamental), alors que des instruments plus longs par rapport à leur perce intérieure auront des possibilités plus grandes, donnant des gammes tritoniques, tétratoniques, pentatoniques,… ajoutant des notes supplémentaires dans l’aigu, mais toujours en suivant le même ordre reconnaissable à l’oreille, qui par exemple donne une couleur commune aux sonneries de clairon occidental et à celles de trompes amérindiennes andines du Pérou ou d’Argentine.
Fonctions
Par leur puissance sonore et leur forte présence visuelle, ces instruments sont le plus souvent associés à des fonctions particulières. Il se prêtent évidemment à la signalétique en plein air : on connaît l’utilisation de longue date de ces instruments à la chasse ainsi que dans le contexte militaire, mais aussi dans le monde civil, pour émettre des signaux de communication à longue portée (alerte, rassemblement, avertissements divers etc) dont des exemples plus tardifs dans nos civilisations sont le cor des anciens postillons, ainsi que les trompes des automobiles. On utilise aussi des cornes d’appel dans le contexte agro-pastoral (cors de bergers, de vachers).
En plus de leur fonction pratique dans les activités militaires, les trompes en temps de guerre peuvent jouer un rôle pour impressionner, voire effrayer et démoraliser l’ennemi, par la puissance et la sauvagerie de leurs sons. On en a un exemple fameux avec le carnyx à tête animale, dont les sonorités mêlées aux cris et aux chants des guerriers gaulois, semaient l’effroi dans les armées romaines.
Tout aussi fréquent est l’usage lors de manifestations collectives, démonstrations de puissance, de solennité ou de joie : rituels, célébrations religieuses, manifestations d’apparat, défilés, processions, annonces de fêtes de mariage,…
Par exemple, les rois de France ont entretenu pendant des siècles un certain nombre de musiciens professionnels, sonneurs de trompette, répartis en deux corps, les « Trompettes de la Grande Ecurie » et les « Trompettes de la Maison Militaire ». Les premiers jouent pour diverses occasions cérémonielles : sacres, entrées du roi dans une ville, funérailles royales, joutes, tournois, grands festins royaux etc. Certains, les quatre « Trompettes ordinaires » de Louis XIV, montés à cheval, avaient la tâche de précéder en tout temps le carrosse du roi en sonnant. Quatre autres, les « Trompettes des Plaisirs », servent à la musique des divertissements du roi et de la cour (concerts, ballets, etc). D’autres sont rattachés à la « Chambre du Roi ». Leurs services, rétributions et privilèges sont précisément codifiés. (d’après un livre d’Emile Rhodes « Les Trompettes du roi », téléchargeable sur Gallica, site de la BNF).
Les documents vidéo présentés ci-après nous montreront des exemples de quelques-unes de ces diverses fonctions à travers le monde, dans un contexte social qui peut être encore bien vivant, mais qui est aussi souvent celui d’une tradition menacée d’extinction et maintenue « à bout de bras » par quelques personnes. On verra que certaines de ces traditions sont reprises par de jeunes musiciens dans de nouveaux contextes sociaux, qui peuvent être ceux du spectacle vivant aussi bien que ceux de la reconstitution historique.
Symboles
En amont ou en aval de toutes ces fonctions pratiques, les cors et trompes sont porteurs d’une forte charge symbolique, comme tous les instruments archétypaux. Dans l’Antiquité gréco-romaine, ces instruments sont l’attribut de dieux ou d’autres figures mythologiques : la conque marine du dieu Triton, la trompe de coquillage du dieu Pan, les trompettes des muses Clio et Calliope, celles de Phème ou Fama (allégorie de la Renommée).
Dans l’univers biblique, ils peuvent symboliser l’irruption sur terre d’une intervention céleste ou surnaturelle. Les trompettes des anges se font entendre dans plusieurs épisodes bibliques, la destruction des murailles de Jéricho, la résurrection du Jugement Dernier, les sept trompettes de l’Apocalypse. On en trouve un écho dans les cantiques populaires des « réveillez » du Massif Central, où le son des trompettes avertit, et préfigure le jugement dernier :
« Il faut mourir, il faut mourir / Entre les bras de Jésus/Christ / Quand la trompette sonnera / L’ange gardien t’appellera »
« Le jour du jugement viendra / Nous faudra tous paraître / Devant un Dieu pour un dernier ressort / Viendra juger les vivants et les morts / Tous les morts y ressusciteront / Au son de la trompette »
« Vous entendrez sonner / Les orgues et trompettes / Les anges chanteront / Les enfants crieront Dans le sein de leur mère »
Quelques documents vidéos
Instruments antiques
Les sculptures et autres œuvres d’art de l’Antiquité nous font connaître une grande variété d’instruments de cette famille, que ce soit chez les Egyptiens, les Assyriens, les Grecs (la salpinx), les Romains (buccin, lituus, cornu, tuba), les Hébreux (le shofar), les Celtes (le carnyx gaulois), les anciens Scandinaves (le lur), etc. Ces instruments font aujourd’hui l’objet de diverses tentatives de reconstitution, rendues parfois possible grâce à des découvertes archéologiques exceptionnelles, telle la série de carnyx gaulois retrouvés récemment sur le site de Tintignac, en Corrèze. Les sons ou mélodies émis par ces instruments ne peuvent être qu’hypothétiques, en raison de l’absence de traces musicales provenant de ces époques. Les joueurs actuels se laissent donc porter par leur intuition, leur fantaisie ou leur technique personnelle, issue des modèles classiques ou inspirée de sonorités « ethniques ».
John & Patrick Kenny play the reconstruction of the etruscan Lituus
(11) Gladiatorenspiele Carnuntum 2013 / CORNU und WASSERORGEL
Franz Schüssele spielt die nordische Lure
Inspelning BBC 1
Le carnyx, sonné par John Kenny : Carnyx
Carnyx Celtic War Trumpet City Centre Perth Perthshire Scotland
First time two Iron Iron Age Trumpets played together in over 2,000 years !
Trompes et cornes d’Amérique du sud
Les musiques, fêtes et rituels d’Amérique du Sud, notamment dans certaines régions andines, utilisent diverses trompes, souvent très spectaculaires du fait de leur grande taille. On les joue souvent en solo, mais aussi en duo (le yungor) ou en groupe plus important (le huarajo). Voici le lien de téléchargement d’un petit livre (en espagnol) en ligne consacré à ces instruments par Edgardo Civallero (auteur de documents très intéressants sur les musiques des Andes et leurs instruments ) : https://bitacoradeunmusico.blogspot.fr/2011/01/las-largas-trompetas-de-los-andes.html
On trouve aussi des instruments de la famille du cor, tels le waca waccra péruvien, fait de l’assemblage d’un grand nombre de sections de cornes de vaches. Ces instruments sont parfois associés à des pifanos (fifres) et des trompettes de cavalerie (trompettes occidentales sans pistons) dans les « bandas tipicas » des régions de Cuzco et Apurimac. Dans ces groupes, qui jouent en plein air de la musique de danse et surtout les airs liés aux rituels et fêtes tauromachiques (torils), tous ces instruments à vent sont joués par paires, et se relaient constamment, accompagnés par des tambours.
On trouve aussi dans diverses régions le pututu ou bocina, cor court réalisé à partir d’un gros coquillage (conque), ou d’une corne animale. Le « pututu de caracol » était utilisé par les chasquis, messagers de l’empire Inca. E. Civallero, déjà cité, consacre un article à ces instruments et leur archéologie : https://www.culturaspopulares.org/textos6/articulos/civallero.htm
Pérou : le clarin de Cajamarca Conozca al clarín cajamarquino
Pérou : le huarajo et le yungor de Huancavelica
CARNAVAL SANTIAGO DE CHOCORVOS……MELODIAS DEL HUARAJO….. FAMILIA PEVE
Los Hijos de Chucurpus – Toque de huarajo de la primera grabacion
Salcahuasi – Hna Inocente
Pérou : le waca waccra d’Apurimac et Cusco, waqrapuku d’Ayacucho
WACA WACCRA – MOLLEBAMBA APURIMAC – PERU
BANDA TIPICA LOS AUTENTICOS DE MARKA MARKA – DIANA Quiñota Chumbivilcas
WAQRAPUKU – tonadas – Ayacucho
Pérou : le pututu
The Pututu – « Ancient sounds for modern times » (1 of 2)
Bolivie : la caña de Tarija
Brinco de la caña – Cumpa Mico
Argentine : l’erke de Jujuy (Nord-ouest)
4 DE OCTUBRE
Erkes en Huacalera – Jujuy
Chili : la trutruca et le ñolkiñ du peuple Mapuche
Belarmino Kilkitripay, Músico Mapuche
TRUTRUCA – Miguel Villar
Brésil : le berrante, trompe des vaqueiros du Nordeste
Berrante Novo Andralina
Berrante O Melhor Berranteiro do Brasil
Franco do berrante chamando a boiada
Trompes populaires d’Europe
Les trompes traditionnelles européennes sont restées en usage dans quelques pays et régions, notamment en montagne, tels le bucium ou tulnic de Transylvanie, la trembita des Houtsouls (ouest de l’Ukraine). Ces instruments répondent à plusieurs fonctionsutilitaires, tels que les appels pastoraux, ou rituelles comme la célébration des funérailles ou de Noël. En Lithuanie, elles sont utilisées en groupe, dans une pratique « revivaliste », pour rejouer des polyphonies très particulières, les « soutartinès » (qui peuvent s’interprèter également au chant ou avec des flûtes de Pan). Ce mode de jeu, melangeant le jeu « en hoquet » et la polyphonie, et où chaque musicien joue une seule hauteur dans la mélodie, rappelle beaucoup celui de plusieurs trompes africaines (à voir plus bas). De ces instruments, le plus connu du grand public est le cor des Alpes ou Alphorn, joué en Suisse et au Tyrol. Par rapport aux trompes d’Europe de l’est, l’influence de la musique classique se fait beaucoup sentir, comme dans beaucoup de musiques populaires germaniques : cela conduit à un son beaucoup plus policé, et un jeu harmonisé très éloigné des sons rugueux des trompes traditionnelles en général.
Roumanie : le bucium ou tulnic (Transylvanie)
Arieseni,muntii apuseni
Traditii din Tara Motilor – femeie cantand la tulnic
Tulnice în Munții Apuseni
Death Announcement – Bucium(tulnic)
Ukraine : la trembita (peuple houtsoul)
Ukrainian Trembity Calling out Christmas
Hutsul funeral with trembitas. Гуцульський похорон з трембіт
Sound of Ukrainian trembita
Pologne : la ligawka
Ciechanowieckie Ligawki.wmv
Ligawki 2012
Suisse : l’alphorn et le büchel
duo.rauschhorn@bluewin.ch
fridolin kundert playing buechel
Trumpet
Lithuanie
Lithuanian Folk Instruments – ragai | sutartinė
Skamba kankliai 2015 LINAGO Instrumentinė ragų sutartinė (Birch bark trumpets)
Aukštaitiška ragų sutartinė | Lithuanian polyphonic folk music
kolnali [midsummer]
Asie, Afrique, Océanie
Voici maintenant quelques exemples glanés sur Youtube, dans un voyage immobile à travers plusieurs continents. On pourra voir et entendre les gigantesques trompes rituelles des moines bouddhistes tibétains, les orchestres de mariage ouzbeks, le shofar liturgique des Hébreux, les longues trompettes métalliques de la « dakka marrakchia », musique marocaine de danse et de transe. L’Afrique noire nous offre d’impressionnantes pratiques très collectives d’orchestres de trompes de différentes tailles, jouant pour les danses et réjouissances ou bien pour la pompe des rois Ashantis.
Tibet : le dung chen
Young monks play Tibetan horn at Tikse gompa
Tibet Tibetan Monks – Playing Long Horn – Longhorn
Inde : le bhankora
Uttarakhand traditional Dhol and bhankora- traditional instruments
Ouzbékistan : le karnay
Uzbek music karnay girboni Toshkent guruhi+9989830
Karnay Surnay Toshkent guruhi+998983079900
Israël : le shofar
PASTOR GERMAN SABINO BLOWING PROFETIC SHOFAR.flv
Maroc : le n’far
m’rirt d9ay9iya
Ghana / trompes d’ivoire des Ashanti
Asante Ivory Trumpets – Ancient Akan Music – Pt 1
République Démocratique du Congo et Ouganda : les trompes du peuple Alur
The Agwara Aerophone Ensemble – July 2013
Agwara Dance
Kenya, Tanzanie : trompe en corne de koudou des Maasaï
Maasai with Kudu Horn and Lion Skin hat, Kenya
Côte d’Ivoire : le Gbofe
Le Gbofe d’Afounkaha, la musique des trompes traversières de la communauté Tagbana
République Centrafricaine : les trompes des Banda Linda
Botswana-Zimbabwe : chant avec corne de koudou
Botswana-Zimbabwe Music Lenaka la Kudu 3
Dizu Plaatjies – (4) (kudu horns) – WOMAD 28.7.13 MVI 9149
Australie : le didjeridoo
Ryka Ali Plays Aboriginal Eucalyptus Didgeridoo
Quincey Matjaki Wunungmurra, among the best didgeridoo playing you’ll hear
Voici sur Youtube encore, toute une collection de vidéos supplémentaires sur ce sujet :