Focus sur l’histoire du monde du violon dans le petit territoire corrézien des Monédières, par Olivier Durif
Dans le long et lent processus d’élaboration des musiques traditionnelles rurales, le sens commun et l’imagerie populaire voudraient que la pratique instrumentale en ait été le vecteur principal, comme les représentations iconographiques, picturales ou sculptées jalonnant les siècles pourraient plausiblement l’attester.
Or, si l’on s’attache à l’histoire du monde du violon dans le petit territoire corrézien des Monédières, on découvre que la mémoire locale et ses différents témoignages n’ont gardé aucune trace d’une instrumentation qui eut pu traverser les époques avant le XIXe siècle.
On connaît la célèbre et précieuse assertion qui vient conforter cette réalité, issue de l’ouvrage de Vialle et Beronie dans leur Dictionnaire du Patois du Bas-Limousin et des environs de Tulle, au mot « violon » :
« Il y a peu de temps qu’il a été introduit dans nos bals champêtres, et encore il y a beaucoup de danseurs que n’entendou pas lou vio-ouloun ».
L’ouvrage est paru en 1821 et c’est sept ans plus tard, le 14 septembre 1828, que naît dans le hameau de Mézinges à St-Augustin au pied des Monédières, Jean Chauzeix, mieux connu sous le vocable de L’Arabe du Roc-Blanc et plus ancien violoneux dont la mémoire populaire locale se soit souvenue.
« Joue cette bourrée, tu verras elle est de l’Arabe » conseille Léonard Lachaud de Chaumeil, un des « successeurs » de Jean Chauzeix dans le métier de violoneux, à Baptiste Porte, alors jeune apprenti-violoneux de St-Yrieix-le-Déjalat.
Pour autant, le répertoire de l’Arabe parvenu jusqu’à nous reste aujourd’hui très limité puisqu’à part cette bourrée, un seul autre air, une marche de noce recueillie auprès d’Elie Chamberet, violoneux d’Orliac de Bar, nous a été transmis.
Pourtant, il semble que sa pratique pionnière et semble-t-il précurseuse autant que le surnom mystérieux de l’Arabe, ait marqué les esprits des témoins et de ses successeurs violoneux.
Le processus d’enracinement local de cette pratique musicale est sans doute lent à ses débuts même si la renommée de Chauzeix et la large exposition de sa quasi-profession de musicien dans l’auberge du Roc-Blanc à Corrèze tenue par sa sœur et son beau-frère, ménagent un début d’émulation vers de nouveaux violoneux.
Ils seront quatre de la génération suivante qui feront rentrer cette musique instrumentale dans la passion des danseurs :
- Antoine Chastanet dit Pioulou né en 1864 et décédé en 1924 à St-Salvadour qui semble avoir connu Jean Chauzeix et dont les successeurs seront Léon et Baptiste Peyrat.
- Léonard Veyssière né le jour de Noël 1868 à Sarran et mort en 1948, boulanger de son état et qui avait la réputation de « dresser » pendant l’hiver les apprentis violoneux dans le fournil de sa boulangerie. On raconte qu’il était reçu par le maître du Château de Bity, demeure devenue célèbre plus tard… qui aimait écouter la musique des violoneux.
- Léonard Lachaud déjà nommé, du village de La Vedrenne à Chaumeil né en 1875, initiateur de « l’école » de violon chaumeilloise et de ses alentours à la stylistique et au son si particuliers qui comptera une bonne vingtaine de disciples dont Jean Ségurel qui n’en était d’ailleurs pas le meilleur élève ce qui le décidera à changer d’instrument pour l’accordéon, avec le succès que l’on connaît.
- Le quatrième, Jean-Baptiste Broussouloux dit Rempart de Meymac (1868-1931), ne sera pas directement une émule de L’ Arabe du Roc-Blanc, puisque c’est auprès d’un musicien polonais habitant Meymac qu’il développera une pratique de la musique de violon plus tournée vers la musique virtuose écrite de l’époque et du répertoire « moderne » qui lui était dédié. On peut relier sa pratique à celle d’un Pierre Boussige (1873-1951) qui possédait un quatuor à cordes de bal à la Gare d’Ussel et qui formera nombre de violoneux de la campagne usselloise environnante.
C’est avec la génération suivante née entre 1890 et 1910 que le monde du violon des Monédières trouvera sa quintessence musicale. On trouve alors des musiciens dans pratiquement toutes les communes et plus encore, des instruments « dans toutes les maisons »… au cas où, sans doute !
Le violon est le roi de la fête avant la guerre de 1914 et paradoxalement après aussi, même si l’accordéon commence à pointer le bout de son soufflet et si la saignée humaine de 1914 va laisser sur le carreau, parmi la foule des morts, nombre de violoneux de cette génération. Les premières années de l’après-guerre connaissent un regain de pratique de l’instrument avec les nombreux mariages et remariages (pour cause de veuves de guerre !) qu’on y célèbre. La plupart des musiciens cesseront progressivement leur activité publique vers la fin des années mille neuf cent vingt et le tout début des années mille neuf cent trente, remplacés par l’accordéon, instrument de la jeunesse…
Plus encore que la mode passée de l’instrument ce sont la mutation sociale des campagnes et le besoin de changement qui relégueront progressivement le violon, au mieux dans l’intimité délaissée des cantous et des fêtes familiales, au pire sur le haut des armoires puis dans le rebut abandonné des débarras…
Léon Peyrat, violoneux de St-Salvadour qui jouera dans le célèbre bal « chez La Jeanne » à Vimbelle au pied des Monédières jusqu’aux premières heures du second conflit en 1939 où il sera mobilisé, se verra dès lors remplacé par un accordéoniste : il aura nom Jean Ségurel.
Olivier Durif,
Directeur du CRMTL
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