Par Evelyne Girardon
Le 28 novembre 2004 à 17h30 à la salle des musiques actuelles « Des Lendemains qui chantent » de Tulle se produiront des ensembles amateurs de musique vocale constitués de chorales, de chanteurs solistes mais aussi d’instrumentistes de l’école de musique de Tulle… Ce projet intitulé « Voix en ville et autres mouvements sonores » sera le témoin d’une expérience artistique originale ayant permis à des musiciens amateurs de bénéficier du soutien de l’artiste renommée Evelyne Girardon. A l’heure où l’artistique se formate pour exister, l’énergie des acteurs des musiques traditionnelles offre encore la possibilité d’expérimenter d’autres formes de rencontres musicales. Rencontre avec Evelyne Girardon.
En quoi votre approche du chant permet-elle cette fusion d’ensembles si différents ?
Evelyne Girardon : Chanter, c’est surtout raconter ou faire vivre une fonction, un rituel (danser pour battre le sol d’une nouvelle maison, bercer, marcher, travailler). L’expression des textes est directe, comme celle de la voix parlée, quelqu’en soit l’interprétation. Les syllabes n’ont pas uniquement un rôle d’articulation rythmique. Le texte est important, on le met en valeur au détriment de la « mesure », on n’hésite pas à ajouter des temps supplémentaires si la narration le demande. La pensée musicale est horizontale, très différente de celle dont nous avons l’habitude aujourd’hui : la verticalité des sons se vit comme une superposition de monodies, ou de lignes narratives. Et non pas comme la réalisation pensée d’accords. Chacun tente de se signer dans le son global, c’est ce qui est intéressant. La respiration est continue, les interruptions sont fonctionnelles. Elle sert aussi d’accent, on interrompt le mot, c’est aussi pour marquer l’importance du texte. Dans la culture savante, les embellissements sont écrits. Dans la culture de tradition orale, on peut improviser. Le seul lieu d’improvisation, ce sont des minuscules fragments, qui deviennent énormes car ce sont les « micros-variantes » qui indiquent si un chanteur est bon ou non. Je citerai à ce propos Giovanna Marini : C’est une culture de présence, la présence est fondamentale. La voix doit être toujours forte, si je chante un « pianissimo » qui vient de la culture savante, ils me disent : tu es malade ? La voix doit être forte car le chanteur doit être là …
Chaque chanteur peut s’épanouir dans le groupe ?
Les pratiques polyphoniques dans les traditions orales ont cela de spécial qu’elles mettent en valeur l’individuel, donc la monodie, dans le son collectif. Dans le « chœur » on se « signe », on se démarque, avec ses propres ornements et son timbre vocal reconnaissable entre tous. Les rôles de « solistes » sont présents en continu. Pas de « formatage » de l’improvisation : les libertés et variations subtiles contenues dans les pratiques monodiques traditionnelles (populaires ou liturgiques) peuvent trouver une place nouvelle dans l’improvisation contemporaine.
Comment avez vous procédé concrètement pour ce projet ?
A partir d’un noyau « trad », d’autres pratiques vocales existantes sont réunies dans un spectacle. Quelque soit la forme et la composition des ensembles, nous avons travaillé le son, exacerbé les qualités du timbre vocal, joué sur les couleurs, en partant du répertoire de l’ensemble ou du chanteur. Nous avons construit ensemble une narration, un fil cohérent. Le répertoire n’est donc plus un souci : il est mémorisé ; le jeu musical peut alors commencer. D’un unisson, les mélodies se superposent dans l’harmonie modale, les « polyvocalités » se construisent dans l’écoute, sans recours à la partition, en partant du répertoire de chacun. Les caractéristiques cl différences entre les ensembles deviennent complémentaires dans le spectacle ; les 40 choristes tout comme le chanteur soliste trouvent leur place de façon encore plus cohérente dans celle production.
Propos receuillis par Viviane Gégout pour les Nouvelles Musicales en Limousin, n° 79, octobre 2004 – janvier2005.