Rencontre musicale autour du groupe Nakodjé (Dakar)

Table ronde au sujet d’une rencontre

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Le 29 Septembre dernier, lors du prestigieux festival des Francophonies en Limousin, une expérience unique se produisait sous le chapiteau. Quatorze musiciens, quatorze individualités parmi lesquelles des musiciens traditionnels Limousins, l’orchestre sénégalais Nakodjé et des
improvisateurs-bricoleurs tentaient une rencontre musicale. Petit voyage à l’intérieur de la mécanique, voici les réflexions, recueillies à chaud, de trois des instigateurs, Thomas Vahlé saxophoniste et flûtiste du groupe Nakodjé habitant Dakar, Philippe Destrem musicien, fabricant d’instruments et enseignant au Conservatoire de Limoges et Laurent Rousseau directeur pédagogique du Cemmi et musicien dans divers groupes de musique improvisée.

Les Nouvelles Musicales du Limousin : Quel est l’historique de cette rencontre ?
Philippe DESTREM : En fait, j’étais en contact depuis plusieurs années avec le Festival des Francophonies. Or pour cette édition, dans la programmation, il y avait un gros volet de fabrication d’instruments avec le groupe
Nakodjé. L’idée de départ du festival était d’initier une rencontre autour de la fabrication d’instruments traditionnels et de l’expérimentation musicale qui en découle. C’est pour ça que j’ai été contacté et qu’il m’a été demandé de réfléchir à une équipe, au sein du CRMTL, qui serait partante pour un tel projet.

NML : Comment s’est fait le choix des musiciens ?
PD : Le choix des musiciens a été fait en fonction d’une nécessité que l’on sentait avec Olivier Durif au Centre Régional des Musiques Traditionnelles, Ce sont des musiciens qui avaient envie de vivre une expérience avec d’autres au delà du « cercle musique traditionnelle de la région ». Il nous semble que c’est une des préoccupations du Centre de faire rencontrer les musiciens limousins de musiques traditionnelles avec des musiciens de l’extérieur. On a donc imaginé un panorama de complémentarités dans la volonté d’intégrer des gens avec qui on n’avait jamais travaillé, des gens venant des musiques improvisées, ou un chanteur comme Bernart Combi qui parle très bien l’occitan… L’équipe aurait pu être
plus grande, mais on s’est volontairement limité, pour arriver ‘a peu près au même nombre que le groupe Nakodjé. Il est vrai que plus on est
nombreux, plus il devient difficile de gérer les temps de parole, les mariages de timbre, etc…

NML : Comment avez-vous appréhendé la rencontre ?
Laurent ROUSSEAU : Ce qui m’intéressais dans ce projet, c’est la complémentarité des gens et surtout la différence des approches mais avec le même but : le principal c’est le son.
En fait les gens peuvent venir de plein d’horizons divers avec des sons divers, une culture différente et le mariage peut toujours se faire puisqu’il suffit qu’il y ait un peu d’écoute, de la rencontre vraie et ça fonctionne. Ce qui m’intéressait c’était de rencontrer des gens et de m’enrichir.

NML : Avez-vous cherché à connaître la musique de l’autre ?
PD : Suite à l’écoute d’un échantillon sonore de Nakodjé qui nous avait été donné par le festival, j’ai réalisé une compilation d’enregistrements ou d’expérience musicale de chacun destinée au groupe Nakodjé pour qu’ils sachent, au moins pour qu’ils aient entendu les instruments qu’ils allaient
rencontrer, les sensibilités qu’ils allaient croiser. Ça me paraissait important ça, un travail préalable de contact : on a échangé quelques faxs sur les tonalités d’instruments, sur les contraintes, sur les J nôtres, sur les leurs. Ce qui permettait de mieux préparer principalement la fabrication d’instruments par rapport aux tonalités choisies, etc. Par contre, j’ai essayé, pour qu’on aille vite et qu’on ne tourne pas en rond, qu’on ne passe pas une journée à chercher ce qu’on pouvait faire, de voir en fonction des trois morceaux qu’on avait reçus comment on pouvait combiner nos instruments, les mélodies sur leurs rythmiques, sur les échelles qu’ils utilisent, avec le balafon par exemple. J’avais des idées de
répertoire, j’avais cherché des choses qui pouvaient s’intégrer dans l’esprit, dans le son, dans les tonalités.

NML : Comment vous êtes-vous confrontés aux problématiques de langage musical ?
PD : J’ai essayé à ma manière d’apprendre sur les trois échantillons de son qui m’ont été donnés le langage musical de Nakodjé. Les choix des thèmes
proposés, c’étaient ceux qui me paraissaient être en rapport à la musique que je pratique et les plus proches et les plus africains par leur étendue, leur mode, leur esthétique. Par exemple, la dernière scottish, je l’entends sonner africain.

Thomas Vahlé Aujourd’hui, par exemple, il y a eu un petit thème justement qui est sorti de l’affaire et je voulais voir sur ma flûte ce que je pouvais faire avec ce thème-là, comment je pouvais l’interpréter.
Les autres aussi sont venus avec leur approche, pour donner une rythmique derrière. Et je crois que c’est d’abord pouvoir écouter avant de pouvoir
interpréter, c’est de pouvoir écouter avec toute ta sensibilité, avec toute ta culture dans les oreilles.
Puis tenter d’aller au-delà, vers l’autre et voir ce qu’il joue, essayer de comprendre, de donner ce que tu as à donner, qui entre dedans pour le meilleur ou pour le pire. Mais, personnellement, je trouve que c’était vraiment pour le meilleur parce qu’on était tous humainement parlant sur la même longueur d’onde. Je crois qu’on a tous eu une certaine approche avec beaucoup de respect etc… et musicalement parlant je crois que Philippe a
vraiment fait son devoir, il a écouté, il a été à la hauteur. Il avait souvent une idée assez concrète par rapport à la lancée des différents morceaux qu’on allait jouer. Ou bien il chantait une rythmique ou bien il disait « bon j’ai un thème qui fait à peu près ça, qu’est-ce que ça pourrait donner ? »

LR : Moi je crois qu’à chaque fois qu’on joue avec quelqu’un c’est toujours la démarche qui compte de toute façon. On a un langage, la personne en face a aussi un langage, et en fait si on joue ensemble, c’est qu’on va arriver à une espèce – même pas de compromis – mais à une espèce de mariage, soit une fusion, soit une superposition – pas toujours une fusion non plus – et on est toujours obligé de faire comme ça, que la personne soit de la même culture ou non. Bien-sûr il y a toujours des petites données techniques qui font qu’il faut ajuster certaines choses. Après, la rencontre est la même que ce soit un limougeaud avec un strasbourgeois ou un africain avec un limougeaud.

PD : Je crois que dans ce genre de mariage, ce à quoi on est très sensible dans les musiques traditionnelles, c’est ne pas perdre son identité. Et je crois que c’est important sinon on fait tout et n’importe quoi, on tombe dans une espèce de musique insipide. Ce qui est important et ça s’est très bien passé c’est que quand Thomas joue de la flûte peulh, eh bien il joue de la flûte peulh C’est son identité. Et c’est vraiment intéressant à partir de ce son-là de le faire se croiser avec d’autres sons. Et quand moi, je joue de mes instruments ou de la vielle, hors de moi l’idée de vouloir jouer de la flûte peulh parce que ce n’est pas leur caractère. J’essaye de garder mon identité et de voir en même temps jusqu’où on peut aller pour que ça marche, pour que ça se croise. Dans la même idée, quand Olivier Durif joue du violon, il est lui-même c’est-à-dire qu’il essaye
de faire coller à l’ensemble son son de violoneux et ça marche très bien, alors qu’il pourrait jouer des notes plus pures ou dans une esthétique
moins traditionnelle, enfin moins typée et de basculer dans une espèce de recherche de langage d’esthétique jazz. Mais non, il va jusqu’au bout dans son esthétique et je trouve que ça, même si c’est plus difficile, c’est vraiment ce qui m’intéresse dans ces métissages.

NML : Avez-vous souvent l’opportunité de ce genre de rencontre? Est-ce que c’est quelque chose que vous aimeriez développer ?
LR Je pense que ce serait bien d’en faire un maximum même si parfois ça peut ne pas se passer aussi bien, certainement, Je suis sûr que plus on en fait, plus on s’enrichit. Après il faut se donner les opportunités, il faut certainement susciter des choses, dans l’organisation, se rapprocher des gens qui sont dans la région, etc.

PD : Je suis pour la rencontre le plus possible, c’est-à-dire pas forcément pour le métissage parce que ce mot métissage, on en a beaucoup parlé et
quelquefois il y a des choses qui ne sont pas forcément très intéressantes. Je crois que c’est un petit peu comme pour ce qui est de la culture en
général. C’est-à-dire que plus on rencontre de gens, plus ça permet de faire ses propres synthèses en rapport à la pratique. Ça me permet de tester des idées musicales de manière à séparer ce qui lié directement à ma culture proche, voire à mon affect, de ce qui est suffisamment fort pour être entendu par ceux qui n’ont pas la même culture que la mienne. Je suis prêt non pas à faire une world music à tout prix, je suis prêt à rencontrer un maximum de gens pour me nourrir et faire mieux comprendre ce que je pratique et réalise.

LR : C’est vrai que si on parle d’identité, notre identité, elle n’est pas fixe, elle évolue, et c’est grâce à des choses comme ça qu’elle évolue,
une espèce de merdier géant à l’intérieur et puis on fait des choses comme ça, et ça ajoute au merdier préexistant.

TV : Je crois que tout musicien qui a vu les quatre coins de sa chambre a envie de sortir un peu et de rencontrer le monde. Même si il joue dans un
groupe, c’est pas forcément le pied tout le temps. Tu joues avec les mêmes gars, tu tournes, tu peux aimer ça, tu peux être même les Beatles si tu veux, c’est toujours les mêmes quatre gars et puis tôt ou tard, je ne sais pas ; ça dépend de ta personnalité mais tu vas vouloir voir autre chose. Je trouve que c’est humain tu as envie de te mettre à l’épreuve dans un autre contexte. Tu as envie d’écouter quelqu’un d’autre jouer. Mais le problème est que souvent en temps que musicien tu n’en as pas le temps. Tu fais un festival, tu es programmé, puis tu prends le bus qui t’emmène
autre part. Et on a tout un programme qui ne nous permet pas d’écouter les autres groupes et ça c’est très frustrant.

PD : Ce que je trouve fascinant, c’est que c’est une espèce de synthèse de ce qu’on sait faire, parce que dans ce genre de rencontre, en deux jours, les choses vont très vite, on est obligé d’être soi-même. Autant dans un groupe ou avec des gens avec qui on travaille habituellement on peut, je ne
vais pas dire tricher, mais travailler « mécaniquement  » pour que des choses se passent. Dans une rencontre comme celle-là, en même temps qu’on joue,
chercher au fond de nous-même notre savoir faire et la chaleur avec laquelle on veut l’apporter. C’est ce qui me fait dire qu’on ne triche plus, on est soi-même et si quelque chose est trop compliqué pour ce qu’on peut faire ou au moment où il faut le faire, et bien là il faut le laisser passer. Ça permet aussi de nourrir un travail futur et dire « tiens, il faut que je m’axe plus vers ce travail ».

TV : Oui, et puis hier il y avait la télé et on s’est dit: « faisons comme s’ils n’étaient pas là », et ils sont tombés dans un moment où chacun faisait « son bruitage » avec son instrument, et personne n’a changé de voie : c’est ce qu’on est en train de faire, vous êtes là maintenant, et c’est
naturellement et c’est une bonne chose. Certes on aurait pu approfondir si on avait eu plus de temps, de voir un peu surtout au niveau des instruments parce que pour Nakodjé, je fabrique toutes mes flûtes, je fabrique des sanzas avec la personne qui joue des sanzas, je confectionne des balafons avec le balafoniste et on n’a pas eu beaucoup de temps pour échanger des petits secrets en la matière. Peut-être la prochaine fois on pourra travailler en atelier afin de créer ensemble les instruments. J’ai vu le nombre d’instruments que Philippe fabrique, j’étais très très
impressionné et malheureusement on n’a pas eu le temps d’approfondir cet échange-là. Il y a des gens au Sénégal que je connais qui fabriquent des
instruments et j’aurais bien voulu partager ces instruments avec Philippe et ses collègues.

PD : Donc ça veut dire qu’on n’a pas fait le tour de notre rencontre et qu’il nous reste encore beaucoup de choses à découvrir, et c’est ce qui est positif aussi…

Propos recueillis par Jean Lafitte et Ricet Gallet pour les Nouvelles Musicales et Chorégraphiques du Limousin, N°57, janvier-février 1999.